
Le droit international de la préservation de la biodiversité s’est progressivement constitué comme une réponse collective à l’érosion accélérée des espèces et écosystèmes. Face à l’urgence écologique, les États ont développé un corpus juridique complexe visant à protéger le patrimoine naturel mondial. Ce système normatif, fruit de négociations diplomatiques intenses, repose sur des principes fondamentaux comme la souveraineté nationale sur les ressources naturelles, la responsabilité commune mais différenciée, et le partage équitable des bénéfices. Les mécanismes juridiques mis en place touchent tant la conservation stricte que l’utilisation durable, tout en reconnaissant l’interdépendance entre protection environnementale, développement économique et droits des communautés locales.
Fondements historiques et évolution du cadre juridique international
L’émergence d’un droit international dédié à la biodiversité trouve ses racines dans les premières conventions sectorielles du début du XXe siècle. La Convention de Londres de 1900 sur la préservation des animaux sauvages en Afrique représente une première tentative, bien qu’imparfaite, de coordination internationale. C’est véritablement après la Seconde Guerre mondiale que la prise de conscience s’accélère, notamment avec la création de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) en 1948.
La Conférence de Stockholm de 1972 marque un tournant décisif en plaçant les questions environnementales au cœur de l’agenda international. Elle aboutit à la création du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE), catalyseur de nombreuses initiatives juridiques ultérieures. Les années 1970-1980 voient l’adoption de conventions majeures comme la Convention de Ramsar sur les zones humides (1971), la Convention sur le commerce international des espèces menacées (CITES, 1973) et la Convention de Bonn sur les espèces migratrices (1979).
La véritable consécration juridique de la notion de biodiversité intervient lors du Sommet de la Terre de Rio en 1992, avec l’adoption de la Convention sur la Diversité Biologique (CDB). Ce texte fondateur établit trois objectifs principaux :
- La conservation de la diversité biologique
- L’utilisation durable de ses éléments
- Le partage juste et équitable des avantages découlant de l’exploitation des ressources génétiques
Les décennies suivantes ont vu l’enrichissement de ce cadre juridique avec l’adoption de protocoles additionnels comme le Protocole de Cartagena sur la prévention des risques biotechnologiques (2000) et le Protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques (2010). Ces textes reflètent l’évolution des préoccupations internationales, intégrant progressivement les avancées scientifiques et les nouveaux défis comme les organismes génétiquement modifiés ou la biopiraterie.
L’adoption en 2010 du Plan stratégique pour la diversité biologique 2011-2020 et des Objectifs d’Aichi a représenté une tentative d’opérationnalisation des engagements internationaux, établissant des cibles quantifiables. Plus récemment, les négociations du Cadre mondial de la biodiversité pour l’après-2020 démontrent la volonté de renforcer l’ambition face à l’accélération des pertes de biodiversité.
La fragmentation normative comme défi
Une caractéristique marquante du droit international de la biodiversité réside dans sa fragmentation. Contrairement au régime climatique centré autour de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, la protection de la biodiversité s’articule à travers une mosaïque d’instruments juridiques sectoriels, régionaux ou thématiques. Cette architecture complexe pose des défis de cohérence, de coordination et d’efficacité que les récentes initiatives tentent de surmonter par une approche plus intégrée et systémique.
Principes juridiques directeurs et mécanismes de mise en œuvre
Le droit international de la biodiversité s’appuie sur plusieurs principes fondamentaux qui structurent son application et son interprétation. Le principe de souveraineté permanente sur les ressources naturelles constitue le socle historique de ce régime juridique. Consacré par la Résolution 1803 de l’Assemblée générale des Nations Unies en 1962, ce principe reconnaît le droit des États d’exploiter leurs propres ressources selon leurs politiques nationales. Toutefois, ce droit s’accompagne désormais d’une responsabilité, celle de ne pas causer de dommages à l’environnement dans d’autres États ou dans les zones ne relevant d’aucune juridiction nationale.
Le principe de précaution, formalisé dans la Déclaration de Rio (Principe 15), constitue un autre pilier fondamental. Il stipule que l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures de protection lorsqu’il existe des menaces de dommages graves ou irréversibles. Ce principe influence notamment la régulation des organismes génétiquement modifiés à travers le Protocole de Cartagena.
Le principe des responsabilités communes mais différenciées reconnaît que tous les États ont une responsabilité dans la protection de la biodiversité mondiale, mais que leurs capacités et leurs contributions historiques varient considérablement. Cette approche justifie des obligations distinctes pour les pays développés et en développement, notamment en matière de financement et de transfert de technologies.
Quant aux mécanismes de mise en œuvre, ils s’articulent autour de plusieurs axes stratégiques :
- Les stratégies et plans d’action nationaux pour la biodiversité (SPANB) qui constituent l’outil principal d’intégration des objectifs internationaux dans les politiques nationales
- Les mécanismes financiers comme le Fonds pour l’environnement mondial (FEM) qui canalisent les ressources vers les pays en développement
- Les dispositifs de suivi et d’évaluation qui permettent de mesurer les progrès réalisés et d’ajuster les stratégies
L’approche écosystémique comme paradigme juridique
L’approche écosystémique, adoptée formellement par la Conférence des Parties à la CDB en 2000, représente un changement de paradigme majeur. Elle promeut une gestion intégrée des terres, des eaux et des ressources vivantes, reconnaissant les interactions complexes au sein des écosystèmes et entre ces derniers et les sociétés humaines. Cette approche holistique influence progressivement la conception et l’interprétation des instruments juridiques, dépassant les approches sectorielles traditionnelles.
La notion de services écosystémiques, popularisée par l’Évaluation des écosystèmes pour le millénaire (2005), a également pénétré le discours juridique, reconnaissant la valeur économique, sociale et culturelle des fonctions assurées par les écosystèmes. Cette reconnaissance a favorisé l’émergence de mécanismes économiques et financiers innovants comme les paiements pour services environnementaux ou la compensation écologique, complétant les approches réglementaires traditionnelles.
Protection des espèces menacées et lutte contre le trafic illicite
La protection des espèces menacées constitue l’un des volets les plus développés du droit international de la biodiversité. La Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) représente l’instrument phare dans ce domaine. Adoptée en 1973 et comptant aujourd’hui plus de 180 parties, cette convention régule le commerce international de plus de 38 000 espèces à travers un système d’annexes correspondant à différents niveaux de protection.
L’Annexe I de la CITES interdit le commerce international des espèces les plus menacées, comme le rhinocéros de Java ou le tigre de Sumatra, sauf dans des circonstances exceptionnelles. L’Annexe II autorise un commerce contrôlé via un système de permis pour les espèces qui pourraient devenir menacées sans régulation appropriée, comme certaines orchidées ou perroquets. L’Annexe III inclut les espèces protégées dans au moins un pays qui demande l’assistance des autres parties pour contrôler leur commerce.
Malgré ces protections juridiques, le trafic illicite d’espèces sauvages prospère, générant des revenus estimés entre 7 et 23 milliards de dollars annuellement selon l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC). Ce commerce illégal, souvent associé à d’autres formes de criminalité transnationale organisée, représente une menace majeure pour de nombreuses espèces emblématiques comme les éléphants (pour l’ivoire), les rhinocéros (pour leurs cornes) ou les pangolins (pour leurs écailles).
Face à cette menace, la communauté internationale a renforcé son arsenal juridique. La Résolution 69/314 de l’Assemblée générale des Nations Unies (2015) a qualifié le braconnage et le trafic d’espèces sauvages de « crimes graves », appelant à une coopération internationale renforcée. Le Consortium international de lutte contre la criminalité liée aux espèces sauvages (ICCWC), regroupant des organisations comme INTERPOL, l’ONUDC ou l’Organisation mondiale des douanes, coordonne les efforts internationaux.
- Renforcement des législations nationales (peines plus sévères, criminalisation)
- Amélioration des capacités d’application des lois (formations, équipements)
- Sensibilisation pour réduire la demande de produits issus d’espèces protégées
Protection des habitats et aires protégées
Au-delà des espèces elles-mêmes, la préservation des habitats naturels constitue un pilier fondamental de la protection juridique de la biodiversité. La Convention de Ramsar sur les zones humides d’importance internationale (1971) a établi un précédent en matière de protection des écosystèmes. Elle a créé un réseau mondial de zones humides protégées, comptant aujourd’hui plus de 2 400 sites couvrant plus de 250 millions d’hectares.
La Convention du patrimoine mondial de l’UNESCO (1972) offre une protection internationale aux sites naturels d’une « valeur universelle exceptionnelle » comme la Grande Barrière de corail en Australie ou les forêts tropicales de Sumatra en Indonésie. Ces désignations internationales complètent les systèmes nationaux d’aires protégées, encouragés par l’Objectif 11 d’Aichi qui visait à protéger 17% des zones terrestres et 10% des zones marines d’ici 2020.
L’évolution récente du droit international tend vers une approche plus intégrée de la conservation, reconnaissant l’importance des corridors écologiques entre aires protégées et la nécessité d’intégrer les zones de conservation dans une planification territoriale plus large. Cette tendance se reflète dans des concepts émergents comme les Autres mesures de conservation efficaces par zone (AMCEZ), reconnues par la CDB pour compléter les aires protégées traditionnelles.
Ressources génétiques et savoirs traditionnels : enjeux d’accès et de partage
La question des ressources génétiques et des savoirs traditionnels associés représente l’un des domaines les plus controversés du droit international de la biodiversité. Ces enjeux cristallisent les tensions Nord-Sud autour de l’équité dans l’utilisation du patrimoine naturel mondial. Historiquement, les ressources génétiques étaient considérées comme un « patrimoine commun de l’humanité », librement accessibles. La Convention sur la Diversité Biologique a opéré un changement radical en reconnaissant la souveraineté des États sur leurs ressources génétiques.
Cette évolution visait à mettre fin aux pratiques de biopiraterie, par lesquelles des entreprises ou institutions de recherche, principalement des pays développés, exploitaient commercialement des ressources biologiques et savoirs traditionnels des pays du Sud sans consentement ni compensation. Des cas emblématiques comme celui du hoodia (plante utilisée traditionnellement par les San d’Afrique australe comme coupe-faim) ou du neem (arbre aux multiples propriétés médicinales utilisé en Inde) ont illustré ces problématiques.
Le Protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation, adopté en 2010 et entré en vigueur en 2014, constitue le cadre juridique international de référence sur ces questions. Il établit des obligations pour les utilisateurs comme pour les fournisseurs de ressources génétiques à travers plusieurs mécanismes :
- L’obtention d’un consentement préalable donné en connaissance de cause (CPCC) des pays fournisseurs
- La négociation de conditions convenues d’un commun accord (CCCA) définissant les modalités d’utilisation et de partage des avantages
- La mise en place de points de contrôle dans les pays utilisateurs pour vérifier la légalité de l’accès aux ressources
Le protocole reconnaît explicitement les droits des communautés autochtones et locales sur leurs savoirs traditionnels associés aux ressources génétiques. Cette reconnaissance s’inscrit dans un mouvement plus large de protection juridique des savoirs traditionnels, complémentaire aux mécanismes établis par l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) à travers son Comité intergouvernemental sur la propriété intellectuelle relative aux ressources génétiques, aux savoirs traditionnels et au folklore.
Défis de mise en œuvre et innovations juridiques
La mise en œuvre du Protocole de Nagoya se heurte à plusieurs défis pratiques. La traçabilité des ressources génétiques reste problématique, particulièrement à l’ère des technologies de séquençage génétique qui permettent d’utiliser l’information numérique sur les séquences sans nécessairement accéder au matériel biologique physique. Cette question de l’information de séquençage numérique (ISN) fait l’objet d’intenses négociations au sein de la CDB.
Certains pays ont développé des approches innovantes pour protéger leurs ressources génétiques et savoirs traditionnels. Le Costa Rica, par exemple, a établi l’Institut national de la biodiversité (INBio) qui a conclu des accords de bioprospection avec des entreprises pharmaceutiques, générant des revenus pour la conservation. L’Inde a créé une Bibliothèque numérique des savoirs traditionnels pour prévenir les brevets indus sur des innovations basées sur ces savoirs.
Des mécanismes multilatéraux comme le Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture (TIRPAA) de la FAO complètent le cadre bilatéral du Protocole de Nagoya. Ce traité établit un système d’accès facilité à 64 cultures alimentaires essentielles en échange d’un partage des avantages via un fonds commun, reconnaissant le caractère spécifique des ressources agricoles et leur importance pour la sécurité alimentaire mondiale.
Vers une gouvernance mondiale renforcée de la biodiversité
Face à l’accélération de l’érosion de la biodiversité, la communauté internationale cherche à renforcer l’architecture de gouvernance mondiale. Les évaluations scientifiques comme celles de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) ont mis en évidence l’insuffisance des efforts actuels pour enrayer le déclin de la biodiversité. Le rapport d’évaluation mondiale de l’IPBES de 2019 a sonné l’alarme en révélant qu’un million d’espèces sont menacées d’extinction.
Cette prise de conscience a conduit à l’élaboration du Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal, adopté lors de la COP15 en décembre 2022. Ce cadre, successeur du Plan stratégique 2011-2020, établit des objectifs ambitieux pour 2030 et 2050, dont la protection de 30% des terres et des mers, la restauration de 30% des écosystèmes dégradés, et la réduction de moitié du taux d’introduction d’espèces exotiques envahissantes.
Au-delà des objectifs, le renforcement de la gouvernance passe par plusieurs innovations institutionnelles et juridiques :
Synergies entre conventions environnementales
La fragmentation du droit international de l’environnement a longtemps limité son efficacité. Des efforts croissants visent à créer des synergies entre conventions, notamment entre les trois « conventions de Rio » (biodiversité, climat, désertification). Cette approche reconnaît les interactions entre ces défis environnementaux : le changement climatique exacerbe la perte de biodiversité, tandis que des écosystèmes sains contribuent à l’atténuation et à l’adaptation climatiques.
Des initiatives comme le Groupe de liaison sur la biodiversité, qui réunit les secrétariats des principales conventions liées à la biodiversité (CDB, CITES, Ramsar, CMS, etc.), ou la Plateforme de Charm el-Cheikh à Kunming pour la nature et les populations visent à renforcer la cohérence des politiques et l’efficacité des actions. Ces efforts s’inscrivent dans une vision plus large de réforme de la gouvernance internationale de l’environnement.
Mécanismes de financement innovants
Le manque de ressources financières reste un obstacle majeur à la mise en œuvre effective des engagements internationaux. Les besoins de financement pour la biodiversité sont estimés entre 722 et 967 milliards de dollars par an, alors que les flux actuels ne représentent que 124 à 143 milliards. Pour combler ce déficit, plusieurs mécanismes innovants émergent :
- Les obligations vertes et bleues qui mobilisent les marchés de capitaux pour des projets environnementaux
- La réorientation des subventions néfastes pour la biodiversité (estimées à 500 milliards de dollars annuels)
- L’intégration de la valeur du capital naturel dans les comptabilités nationales et décisions d’investissement
Le Fonds mondial pour la biodiversité, dont la création a été décidée lors de la COP15, vise à centraliser et amplifier les ressources financières destinées à la protection de la biodiversité, particulièrement dans les pays en développement.
Implication du secteur privé et des acteurs non-étatiques
La gouvernance contemporaine de la biodiversité dépasse le cadre interétatique traditionnel pour impliquer une diversité d’acteurs. Le secteur privé, longtemps perçu comme partie du problème, est de plus en plus reconnu comme un acteur incontournable de la solution. Des initiatives comme le Business and Biodiversity Pledge ou la Task Force on Nature-related Financial Disclosures (TNFD) encouragent les entreprises à évaluer et réduire leurs impacts sur la biodiversité.
Les peuples autochtones et communautés locales (PACL) voient leur rôle de gardiens de la biodiversité progressivement reconnu dans les forums internationaux. Leur participation aux processus décisionnels s’accroît, reflétant la prise de conscience que près de 80% de la biodiversité mondiale se trouve sur des territoires traditionnels. Des concepts comme les Aires du patrimoine autochtone et communautaire (APAC) ou les territoires de vie gagnent en reconnaissance juridique.
Les gouvernements infranationaux (villes, régions) développent leurs propres stratégies de biodiversité, parfois plus ambitieuses que les cadres nationaux. Des réseaux comme le Comité consultatif des gouvernements infranationaux pour la biodiversité (CCGIB) ou l’initiative CitiesWithNature facilitent le partage d’expériences et l’action coordonnée à différentes échelles territoriales.
Cette gouvernance multi-niveaux et multi-acteurs reflète la complexité des défis de biodiversité qui ne peuvent être résolus par les seuls États. Elle traduit une évolution vers un modèle de gouvernance plus inclusif, adaptatif et réflexif, mieux à même de répondre à la dynamique complexe des systèmes socio-écologiques.
Perspectives d’avenir : défis et opportunités pour le droit de la biodiversité
Le droit international de la préservation de la biodiversité se trouve à un carrefour critique. Malgré des décennies de développement normatif, l’érosion de la diversité biologique s’accélère, remettant en question l’efficacité des approches juridiques traditionnelles. Cette situation paradoxale appelle à une réflexion profonde sur les voies de transformation du cadre juridique existant.
L’un des défis majeurs réside dans le déficit de mise en œuvre des engagements existants. Les mécanismes de contrôle et de sanction demeurent globalement faibles dans le domaine environnemental, contrairement à d’autres branches du droit international comme le commerce. Le renforcement des dispositifs de suivi, notification et vérification constitue une priorité pour améliorer la redevabilité des États. Des propositions émergent pour créer un mécanisme de conformité renforcé au sein de la CDB, s’inspirant des expériences réussies d’autres régimes comme le Protocole de Montréal sur les substances appauvrissant la couche d’ozone.
L’intégration du droit de la biodiversité dans d’autres domaines juridiques représente un autre axe de développement prometteur. Les interactions avec le droit du commerce international sont particulièrement significatives, comme l’illustrent les débats sur les mesures commerciales liées à la déforestation ou les standards de durabilité. L’Organisation mondiale du commerce évolue progressivement vers une meilleure prise en compte des préoccupations environnementales, à travers des initiatives comme les discussions sur les subventions à la pêche qui contribuent à la surexploitation des stocks.
Le droit des droits humains offre également des perspectives fécondes pour renforcer la protection juridique de la biodiversité. La reconnaissance émergente d’un droit humain à un environnement sain par l’Assemblée générale des Nations Unies en 2022 ouvre de nouvelles voies de recours pour les individus et communautés. De même, la jurisprudence croissante sur les droits environnementaux devant les cours régionales des droits de l’homme, comme la Cour interaméricaine, contribue à renforcer l’effectivité des normes de protection de la biodiversité.
Innovations juridiques et reconceptualisation
Face aux limites des approches conventionnelles, des innovations juridiques radicales émergent. La reconnaissance des droits de la nature représente l’une des évolutions les plus frappantes. Plusieurs juridictions nationales comme l’Équateur (dans sa Constitution de 2008) ou la Nouvelle-Zélande (pour le fleuve Whanganui) ont accordé une personnalité juridique à des entités naturelles. Ces approches, souvent inspirées des cosmovisions autochtones, remettent en question le paradigme anthropocentrique dominant et offrent de nouveaux leviers juridiques pour la protection environnementale.
Le concept d’écocide, défini comme une destruction massive des écosystèmes, gagne en reconnaissance. Des campagnes internationales plaident pour son inclusion parmi les crimes relevant de la compétence de la Cour pénale internationale, aux côtés du génocide et des crimes contre l’humanité. Cette évolution marquerait une étape majeure dans la criminalisation des atteintes graves à l’environnement au niveau international.
Les réflexions sur la justice intergénérationnelle alimentent également l’évolution du droit de la biodiversité. Des mécanismes institutionnels innovants comme un Médiateur pour les générations futures ou des quotas de représentation des jeunes dans les processus décisionnels visent à intégrer les intérêts des générations à venir dans le cadre juridique actuel.
Transformation numérique et biodiversité
Les avancées technologiques transforment rapidement tant les menaces que les opportunités pour la gouvernance de la biodiversité. Les technologies de l’information et de la communication offrent des outils sans précédent pour la surveillance, la traçabilité et la transparence :
- La télédétection satellite permet un suivi quasi-temps réel de la déforestation ou de la pêche illégale
- Les technologies blockchain peuvent renforcer la traçabilité des ressources génétiques ou du bois légal
- L’intelligence artificielle facilite l’identification des espèces et la détection des infractions environnementales
Ces innovations soulèvent néanmoins des questions juridiques complexes concernant la souveraineté des données, la propriété intellectuelle ou la fracture numérique entre pays développés et en développement. Le cadre juridique international doit évoluer pour maximiser les bénéfices de ces technologies tout en minimisant leurs risques potentiels.
La biologie synthétique et les techniques d’édition génomique comme CRISPR-Cas9 ouvrent des perspectives inédites d’intervention sur le vivant, des organismes génétiquement modifiés aux applications potentielles de « de-extinction« . Ces avancées soulèvent des dilemmes éthiques et juridiques profonds quant aux limites de l’intervention humaine sur la biodiversité et appellent à une approche précautionneuse mais non paralysante.
En définitive, l’avenir du droit international de la biodiversité dépendra de sa capacité à transcender les approches fragmentées, sectorielles et réactives qui l’ont caractérisé jusqu’à présent. L’évolution vers un cadre plus intégré, proactif et adaptatif semble indispensable pour répondre à l’ampleur et à la complexité des défis contemporains. Cette transformation nécessite non seulement des innovations normatives et institutionnelles, mais aussi un changement profond dans notre conception même de la relation entre humanité et nature – une évolution vers une vision plus écocentrique, reconnaissant notre interdépendance fondamentale avec les systèmes vivants qui soutiennent notre existence.