
Face aux défis climatiques mondiaux, le cadre juridique international de la durabilité énergétique se développe rapidement. Ce domaine, à l’intersection du droit de l’environnement, du droit économique et des droits humains, vise à encadrer la transition vers des systèmes énergétiques plus propres. Les instruments juridiques internationaux, régionaux et nationaux se multiplient pour répondre aux impératifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre tout en garantissant l’accès universel à l’énergie. L’analyse de ce corpus normatif émergent révèle les tensions entre souveraineté étatique et nécessité d’une action collective mondiale dans un contexte où l’énergie reste un secteur stratégique pour les États.
La construction progressive d’un cadre juridique international pour l’énergie durable
Le droit international de la durabilité énergétique s’est construit par strates successives, reflétant l’évolution des préoccupations environnementales et des enjeux énergétiques mondiaux. Cette construction s’est amorcée bien avant que la notion même de durabilité énergétique ne soit explicitement formulée.
Historiquement, les premiers jalons remontent aux années 1970, période marquée par les chocs pétroliers qui ont mis en lumière la vulnérabilité des économies face à leur dépendance énergétique. La création de l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE) en 1974 constitue une première réponse institutionnelle, bien que principalement axée sur la sécurité énergétique plutôt que sur la durabilité. Ce n’est qu’avec l’émergence des préoccupations climatiques dans les années 1980-1990 que la dimension environnementale de l’énergie prend une place significative dans le droit international.
La Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) de 1992 marque un tournant décisif, en établissant un cadre global pour lutter contre les changements climatiques, avec des implications majeures pour le secteur énergétique, responsable d’environ deux tiers des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Le Protocole de Kyoto (1997) renforce cette dynamique en fixant des objectifs quantifiés de réduction d’émissions pour les pays développés, affectant directement leurs politiques énergétiques.
L’Accord de Paris de 2015 représente une nouvelle étape fondamentale dans cette construction juridique. En fixant l’objectif de maintenir le réchauffement climatique bien en-deçà de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels, il implique une transformation radicale des systèmes énergétiques mondiaux. Sa spécificité réside dans son approche ascendante, où chaque État détermine sa contribution nationale (NDC), tout en s’inscrivant dans un cadre commun de transparence et de révision périodique des ambitions.
Parallèlement à ces instruments climatiques, d’autres textes ont contribué à façonner le droit international de la durabilité énergétique. Le Traité sur la Charte de l’Énergie (TCE) de 1994, bien que critiqué pour sa protection des investissements fossiles, comporte des dispositions environnementales. Les Objectifs de Développement Durable (ODD) adoptés en 2015, notamment l’ODD 7 qui vise à garantir l’accès à une énergie abordable, fiable, durable et moderne pour tous, intègrent pleinement la dimension sociale de la durabilité énergétique.
Cette construction juridique s’est accompagnée d’un développement institutionnel significatif, comme l’illustre la création de l’Agence Internationale pour les Énergies Renouvelables (IRENA) en 2009, première organisation internationale entièrement dédiée aux énergies renouvelables.
L’émergence de principes directeurs
Au fil de cette évolution, plusieurs principes directeurs du droit international de la durabilité énergétique se sont cristallisés :
- Le principe des responsabilités communes mais différenciées, reconnaissant les capacités et contributions historiques variables des États
- Le principe de précaution, justifiant l’action préventive face aux risques climatiques
- Le principe d’intégration des considérations environnementales dans les politiques énergétiques
- Le principe d’équité intergénérationnelle, fondement conceptuel de la durabilité
Ces principes, bien qu’inégalement consacrés en droit positif, constituent désormais le soubassement axiologique du droit international de la durabilité énergétique.
Les mécanismes juridiques de promotion des énergies renouvelables
Le développement des énergies renouvelables constitue un pilier central de la transition énergétique mondiale. Le droit international a progressivement élaboré divers mécanismes pour promouvoir leur déploiement, avec des approches variant selon les instruments et les contextes régionaux.
Les mécanismes de flexibilité du Protocole de Kyoto ont représenté une première approche significative. Le Mécanisme de Développement Propre (MDP) a notamment permis de financer des projets d’énergies renouvelables dans les pays en développement, générant des crédits carbone utilisables par les pays développés pour atteindre leurs objectifs de réduction d’émissions. Bien que critiqué pour certaines faiblesses (additionnalité contestable de certains projets, distribution géographique inégale), le MDP a contribué au transfert de technologies propres et à la création d’un cadre juridique international pour les projets d’énergies renouvelables.
L’Accord de Paris a introduit un nouveau mécanisme, prévu à l’article 6, destiné à succéder au MDP. Ce mécanisme de développement durable vise à promouvoir l’atténuation des émissions tout en favorisant le développement durable. Les règles opérationnelles de ce mécanisme, finalisées lors de la COP26 à Glasgow en 2021, ouvrent de nouvelles perspectives pour le financement international de projets d’énergies renouvelables.
Au-delà des mécanismes de marché, le droit international a développé des approches fondées sur la coopération technique et le renforcement des capacités. L’IRENA joue un rôle central dans ce domaine, en fournissant expertise, analyses et soutien aux pays pour l’élaboration de cadres réglementaires favorables aux énergies renouvelables. Son plateforme de connaissances REsource et son atlas mondial des énergies renouvelables constituent des outils précieux pour les décideurs politiques.
Les financements climatiques internationaux représentent un autre levier juridique majeur. Le Fonds Vert pour le Climat (GCF), créé en 2010 sous l’égide de la CCNUCC, a pour mission de soutenir les projets d’atténuation et d’adaptation dans les pays en développement, avec une part significative dédiée aux énergies renouvelables. De même, la Banque Mondiale et les banques régionales de développement ont progressivement intégré des critères de durabilité énergétique dans leurs politiques de prêt, créant un cadre normatif qui influence les choix énergétiques des pays bénéficiaires.
Au niveau régional, l’Union Européenne a développé un arsenal juridique particulièrement élaboré pour promouvoir les énergies renouvelables, avec notamment la directive 2018/2001 qui fixe un objectif contraignant d’au moins 32% d’énergies renouvelables dans la consommation finale brute d’énergie de l’UE d’ici 2030. Ce cadre européen, bien que régional, exerce une influence normative internationale significative par son caractère pionnier et son niveau d’ambition.
Le cas particulier des bioénergies
Les bioénergies illustrent la complexité des enjeux juridiques liés aux énergies renouvelables. Leur encadrement international s’est développé pour répondre aux préoccupations concernant leurs impacts potentiels sur la sécurité alimentaire, la biodiversité et les droits fonciers. Des critères de durabilité ont été élaborés, notamment par la Table Ronde sur les Biocarburants Durables (RSB) et intégrés dans certaines législations nationales et régionales, créant progressivement un standard international de facto, bien que non contraignant à l’échelle mondiale.
La régulation des transferts de technologies énergétiques propres
Le transfert de technologies propres vers les pays en développement constitue un enjeu fondamental pour la transition énergétique mondiale. Le cadre juridique international de ces transferts s’articule autour de plusieurs instruments qui visent à surmonter les obstacles liés notamment à la propriété intellectuelle, aux capacités d’absorption des pays récipiendaires et aux financements.
La CCNUCC pose dès 1992 le principe d’une obligation des pays développés de promouvoir, faciliter et financer le transfert de technologies respectueuses de l’environnement vers les pays en développement. L’article 4.5 stipule explicitement que « les pays développés […] prennent toutes les mesures possibles en vue d’encourager, de faciliter et de financer, selon les besoins, le transfert ou l’accès de technologies et de savoir-faire écologiquement rationnels aux autres Parties, et plus particulièrement à celles d’entre elles qui sont des pays en développement ».
Ce principe a été opérationnalisé par la création du Mécanisme Technologique lors de la COP16 à Cancún en 2010, composé du Comité Exécutif de la Technologie (TEC) et du Centre et Réseau des Technologies Climatiques (CTCN). Ce mécanisme vise à faciliter la coopération technologique et à renforcer le développement et le transfert de technologies pour l’atténuation et l’adaptation aux changements climatiques.
L’Accord de Paris renforce ce cadre en établissant dans son article 10 un « cadre technologique » destiné à fournir des orientations au Mécanisme Technologique. Il reconnaît l’importance d’accélérer et d’encourager l’innovation pour une riposte mondiale efficace aux changements climatiques, tout en soulignant la nécessité de soutenir les pays en développement dans cette transition technologique.
La dimension de propriété intellectuelle reste l’un des aspects les plus controversés du régime juridique des transferts de technologies propres. L’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) établit des standards minimums de protection des droits de propriété intellectuelle que tous les membres de l’OMC doivent respecter. Certains pays en développement ont plaidé pour des flexibilités accrues dans ce régime pour les technologies liées au climat, similaires à celles obtenues pour les médicaments essentiels dans la Déclaration de Doha de 2001.
En réponse à ces préoccupations, plusieurs initiatives ont émergé pour faciliter l’accès aux technologies propres tout en respectant les droits de propriété intellectuelle. Le Fonds pour l’Environnement Mondial (FEM) finance des projets de démonstration et de déploiement de technologies propres dans les pays en développement. De même, la Mission Innovation, lancée lors de la COP21 en 2015, engage 24 pays et l’Union Européenne à doubler leurs investissements publics dans la recherche et développement sur l’énergie propre sur cinq ans, favorisant ainsi la création et la diffusion de nouvelles technologies énergétiques durables.
Des mécanismes innovants comme les communautés de brevets (patent pools) et les licences libres (open licensing) émergent comme solutions potentielles pour concilier innovation et diffusion des technologies propres. L’initiative Eco-Patent Commons, bien que désormais inactive, a constitué une expérience pionnière en permettant à des entreprises de mettre certains de leurs brevets environnementaux à disposition gratuitement.
Le rôle des normes techniques internationales
Les normes techniques internationales jouent un rôle croissant dans la régulation des transferts technologiques en matière d’énergie durable. L’Organisation Internationale de Normalisation (ISO) a développé plusieurs normes relatives à l’efficacité énergétique et aux énergies renouvelables, comme la série ISO 50001 pour les systèmes de management de l’énergie. Ces normes, bien que volontaires, contribuent à créer un langage commun et des référentiels partagés qui facilitent les transferts technologiques et l’interopérabilité des solutions énergétiques à l’échelle mondiale.
Les tensions entre impératifs énergétiques et règles du commerce international
L’interface entre le droit de la durabilité énergétique et le droit du commerce international constitue un terrain particulièrement complexe, où s’affrontent des logiques parfois contradictoires. Les politiques nationales de promotion des énergies renouvelables ou d’efficacité énergétique peuvent en effet se heurter aux principes fondamentaux du système commercial multilatéral, notamment ceux de non-discrimination et de libre-échange.
Plusieurs différends portés devant l’Organe de règlement des différends de l’OMC illustrent ces tensions. L’affaire Canada – Certaines mesures affectant le secteur de la production d’énergie renouvelable (DS412/DS426) concerne le programme de tarifs de rachat garantis (feed-in tariff) de l’Ontario, qui incluait des exigences de contenu local pour les équipements d’énergie renouvelable. L’Organe d’appel a jugé en 2013 que ces exigences violaient le principe du traitement national inscrit dans l’Accord sur les mesures concernant les investissements et liées au commerce (MIC) et l’article III:4 du GATT.
De même, dans l’affaire Inde – Certaines mesures relatives aux cellules solaires et aux modules solaires (DS456), l’OMC a condamné en 2016 les exigences de contenu local imposées par l’Inde dans le cadre de son programme national d’énergie solaire Jawaharlal Nehru. Ces décisions ont suscité des critiques, certains observateurs estimant qu’elles limitent la capacité des États à mener des politiques énergétiques durables qui contribuent au développement industriel local.
Les subventions aux énergies renouvelables constituent un autre point de friction. L’Accord sur les subventions et les mesures compensatoires (SMC) de l’OMC réglemente strictement les subventions pouvant affecter le commerce international. Bien que l’ancienne catégorie des « subventions ne donnant pas lieu à une action » (qui incluait certaines subventions environnementales) ait expiré en 1999, des discussions se poursuivent sur la possibilité de créer un espace juridique spécifique pour les subventions aux énergies propres dans le cadre de l’OMC.
Parallèlement, la question des subventions aux énergies fossiles, estimées à plusieurs centaines de milliards de dollars annuellement à l’échelle mondiale, reste insuffisamment traitée par le droit commercial international. Le G20 s’est engagé dès 2009 à « rationaliser et éliminer à moyen terme les subventions inefficaces aux combustibles fossiles qui encouragent la surconsommation », mais les progrès concrets demeurent limités, en l’absence de définition commune des subventions visées et de mécanisme contraignant.
Les mesures d’ajustement carbone aux frontières, comme le Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) adopté par l’Union Européenne en 2023, soulèvent également des questions de compatibilité avec les règles de l’OMC. Ces mécanismes visent à préserver l’intégrité environnementale des politiques climatiques nationales en imposant une tarification carbone aux produits importés, mais leur conception doit éviter toute discrimination injustifiée entre produits nationaux et importés.
Vers une interprétation évolutive des exceptions environnementales
L’article XX du GATT, qui prévoit des exceptions générales aux règles commerciales pour certains objectifs de politique publique, offre potentiellement une base juridique pour justifier certaines mesures énergétiques durables. Notamment, ses paragraphes (b) sur la protection de la santé et (g) sur la conservation des ressources naturelles épuisables ont été interprétés dans une perspective environnementale dans plusieurs différends.
L’affaire États-Unis – Normes concernant l’essence nouvelle et ancienne formules (1996) et l’affaire États-Unis – Prohibition à l’importation de certaines crevettes et de certains produits à base de crevettes (1998) ont établi que les mesures environnementales pouvaient être justifiées sous l’article XX, sous réserve qu’elles ne constituent pas une « discrimination arbitraire ou injustifiable » ou une « restriction déguisée au commerce international ».
Cette jurisprudence ouvre la voie à une interprétation plus harmonieuse des règles commerciales avec les impératifs de durabilité énergétique, bien que des incertitudes juridiques subsistent quant aux contours précis de cette flexibilité.
La protection des investissements dans les énergies renouvelables : évolutions jurisprudentielles
La transition vers un système énergétique durable nécessite des investissements colossaux dans les infrastructures d’énergie renouvelable. Le droit international des investissements joue un rôle déterminant pour sécuriser ces flux financiers, mais son application au secteur des énergies renouvelables a révélé des tensions significatives entre protection des investisseurs et préservation de l’espace réglementaire des États.
La vague de contentieux liés aux modifications des régimes d’incitation aux énergies renouvelables en Espagne, en Italie et en République tchèque suite à la crise financière de 2008 illustre ces tensions. Face aux difficultés budgétaires, ces pays ont réduit rétroactivement les tarifs de rachat garantis pour l’électricité renouvelable, déclenchant plus de 80 procédures d’arbitrage initiées par des investisseurs étrangers, principalement sur le fondement du Traité sur la Charte de l’Énergie.
Ces affaires ont donné lieu à une jurisprudence arbitrale contrastée sur plusieurs questions juridiques fondamentales. La protection des attentes légitimes des investisseurs, composante du standard de traitement juste et équitable, a été interprétée de manière variable. Dans l’affaire Eiser Infrastructure c. Espagne (2017), le tribunal a considéré que les modifications réglementaires espagnoles avaient fondamentalement altéré le cadre réglementaire sur lequel les investisseurs s’étaient légitimement appuyés, accordant une indemnisation de 128 millions d’euros. À l’inverse, dans l’affaire Charanne c. Espagne (2016), le tribunal a estimé que les investisseurs ne pouvaient légitimement s’attendre à l’immuabilité absolue du cadre réglementaire.
Ces divergences jurisprudentielles ont alimenté un débat sur la nécessité de mieux équilibrer la protection des investissements et le droit de réglementer des États en matière environnementale et climatique. Ce débat se reflète dans l’évolution récente des traités d’investissement, qui intègrent désormais plus fréquemment des dispositions préservant explicitement l’espace réglementaire environnemental des États.
L’Accord économique et commercial global (AECG/CETA) entre le Canada et l’Union européenne illustre cette tendance, avec son article 8.9 qui affirme que « les Parties réaffirment leur droit de réglementer sur leurs territoires en vue de réaliser des objectifs légitimes de politique publique, tels que […] l’environnement ». De même, le modèle d’accord bilatéral d’investissement des Pays-Bas de 2019 inclut des dispositions détaillées sur le développement durable et réaffirme les engagements des parties dans le cadre de l’Accord de Paris.
Le processus de modernisation du Traité sur la Charte de l’Énergie
Le Traité sur la Charte de l’Énergie (TCE), principal instrument multilatéral de protection des investissements dans le secteur énergétique, fait l’objet d’un processus de modernisation depuis 2018. Ce processus vise notamment à mieux aligner le traité avec les objectifs climatiques internationaux.
L’accord de principe sur la modernisation conclu en juin 2022 prévoit plusieurs modifications significatives, dont la possibilité pour les parties contractantes d’exclure les nouveaux investissements dans les combustibles fossiles de la protection du traité, conformément à leur trajectoire de transition énergétique. Toutefois, cette réforme a été jugée insuffisante par plusieurs États européens, conduisant la France, l’Espagne, les Pays-Bas, l’Allemagne, la Pologne, le Luxembourg et la Slovénie à annoncer leur retrait du TCE.
Cette situation illustre les défis de l’adaptation du droit international des investissements aux impératifs de la transition énergétique. La clause de survie (sunset clause) du TCE, qui maintient la protection des investissements existants pendant 20 ans après le retrait d’un État, complexifie encore la situation juridique.
Vers un ordre juridique mondial de l’énergie durable : perspectives d’avenir
L’analyse du paysage juridique actuel de la durabilité énergétique révèle un domaine en pleine évolution, caractérisé par une fragmentation normative et institutionnelle mais aussi par l’émergence progressive de principes directeurs communs. Quelles sont les perspectives d’évolution de ce cadre juridique face aux défis croissants du changement climatique et de la transition énergétique mondiale?
La fragmentation du droit international de la durabilité énergétique constitue à la fois une faiblesse et une force. Elle reflète la complexité inhérente aux questions énergétiques, qui touchent simultanément aux dimensions environnementales, économiques, sociales et sécuritaires. Cette multiplicité d’instruments et d’institutions spécialisés permet une approche adaptée aux différentes facettes de la transition énergétique, mais peut aussi générer des incohérences et des angles morts réglementaires.
Face à ce constat, plusieurs voies d’évolution se dessinent pour renforcer la cohérence et l’efficacité du cadre juridique international. La première consiste en une meilleure coordination institutionnelle entre les différentes organisations internationales concernées. Des initiatives comme ONU-Énergie, mécanisme interagences créé en 2004 pour coordonner l’action du système des Nations Unies dans le domaine de l’énergie, constituent un pas dans cette direction. De même, la collaboration croissante entre l’AIE et l’IRENA pour produire des analyses conjointes sur la transition énergétique mondiale témoigne d’une volonté de dépasser les cloisonnements institutionnels.
Une deuxième piste réside dans le renforcement des mécanismes de suivi et de transparence. Le cadre de transparence renforcé établi par l’Accord de Paris représente une avancée significative, en soumettant tous les pays à des exigences communes de reporting sur leurs émissions et leurs politiques climatiques, y compris dans le secteur énergétique. Ces mécanismes pourraient être complétés par des processus d’évaluation par les pairs plus systématiques des politiques énergétiques nationales, sur le modèle des revues approfondies conduites par l’AIE.
Une troisième voie concerne l’articulation plus explicite entre les différents régimes juridiques qui impactent la gouvernance de l’énergie durable. L’inclusion de clauses de cohérence dans les nouveaux instruments internationaux, faisant référence aux objectifs climatiques de l’Accord de Paris ou aux Objectifs de Développement Durable, constitue un outil prometteur. Ces clauses peuvent guider l’interprétation des obligations existantes dans une perspective favorable à la transition énergétique.
Au-delà de ces évolutions incrémentales, certains observateurs plaident pour des réformes plus ambitieuses. L’idée d’une Organisation Mondiale de l’Énergie, qui centraliserait la gouvernance internationale du secteur, réapparaît périodiquement dans les débats. Sans aller jusqu’à cette création institutionnelle majeure, l’élaboration d’une convention-cadre sur l’énergie durable pourrait offrir un socle juridique commun, articulant les principes fondamentaux qui devraient guider la transition énergétique mondiale.
Le rôle croissant des acteurs non-étatiques
L’évolution du droit international de la durabilité énergétique se caractérise également par l’implication croissante d’acteurs non-étatiques. Les collectivités territoriales, les entreprises et la société civile jouent un rôle de plus en plus significatif dans l’élaboration et la mise en œuvre des normes relatives à l’énergie durable.
Des initiatives comme le C40, réseau de mégapoles engagées pour le climat, ou la Coalition Under2, qui rassemble des gouvernements infranationaux s’engageant à réduire leurs émissions de 80-95% d’ici 2050, illustrent cette diplomatie climatique parallèle des territoires. De même, des coalitions d’entreprises comme la RE100 (engagement d’approvisionnement 100% renouvelable) ou l’Alliance of CEO Climate Leaders du Forum Économique Mondial contribuent à l’émergence de standards volontaires qui complètent et parfois inspirent la réglementation publique.
Cette gouvernance polycentrique de l’énergie durable soulève des questions juridiques nouvelles sur l’articulation entre engagements volontaires et obligations légales, et sur la responsabilisation des acteurs privés dans la transition énergétique mondiale.
Le droit international de la durabilité énergétique se trouve ainsi à la croisée des chemins. Son évolution future dépendra de la capacité des États et des autres parties prenantes à surmonter les clivages traditionnels entre pays développés et en développement, entre producteurs et consommateurs d’énergie, pour construire un cadre juridique à la hauteur de l’urgence climatique et des défis de la transition énergétique mondiale.