
La transition énergétique impose de revoir fondamentalement notre approche du stockage d’énergie. Face à l’intermittence des sources renouvelables comme l’éolien ou le solaire, le développement de technologies de stockage performantes représente un défi majeur pour les années à venir. Le droit français et européen s’adapte progressivement à cette réalité technologique en évolution rapide. Entre enjeux de sécurité, questions de propriété intellectuelle et mécanismes de soutien financier, le cadre juridique du stockage d’énergie renouvelable se construit pas à pas. Cet environnement normatif en mutation offre autant d’opportunités que de défis pour les acteurs du secteur, des fabricants de batteries aux gestionnaires de réseaux, en passant par les investisseurs et les consommateurs.
Les fondements juridiques du stockage d’énergie dans le droit français
Le Code de l’énergie français a connu une évolution significative avec la loi n° 2015-992 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, qui a posé les premières pierres d’un cadre juridique adapté aux enjeux du stockage. L’article L. 100-1 du Code de l’énergie mentionne expressément le développement du stockage comme l’un des objectifs de la politique énergétique nationale. Cette reconnaissance légale constitue une avancée majeure pour le secteur.
La loi Énergie-Climat de 2019 a renforcé ce cadre en définissant juridiquement, pour la première fois, la notion de stockage d’énergie. Selon l’article L. 211-2 du Code de l’énergie, le stockage d’énergie est défini comme « le report d’une quantité d’énergie qui a été produite jusqu’au moment de son utilisation, sous forme d’énergie finale ou transformée en un autre vecteur énergétique ». Cette définition, inspirée du droit européen, marque une étape décisive dans la reconnaissance juridique de cette technologie.
Le régime d’autorisation applicable aux installations de stockage demeure complexe. Selon la technologie utilisée et la puissance installée, différents régimes s’appliquent :
- Les installations de stockage par batteries de grande capacité sont soumises à autorisation au titre des Installations Classées pour la Protection de l’Environnement (ICPE)
- Les stations de transfert d’énergie par pompage (STEP) relèvent du régime des concessions hydrauliques
- Les installations de stockage par hydrogène sont encadrées par des dispositions spécifiques liées à la manipulation de matières dangereuses
La Commission de Régulation de l’Énergie (CRE) joue un rôle prépondérant dans l’encadrement économique du stockage d’énergie. Sa délibération du 30 novembre 2021 a précisé les conditions d’accès des installations de stockage aux réseaux publics d’électricité, notamment en matière de raccordement et de tarification. Le principe de neutralité technologique guide son action, afin de ne pas favoriser une technologie de stockage au détriment d’une autre.
Sur le plan fiscal, les installations de stockage bénéficient de dispositions spécifiques. La loi de finances pour 2021 a introduit un régime d’amortissement accéléré pour certaines technologies de stockage, permettant aux entreprises d’amortir ces équipements sur une période de 24 mois. Cette mesure vise à stimuler l’investissement dans le secteur. Par ailleurs, les installations de stockage associées à des installations de production d’énergie renouvelable peuvent bénéficier d’exonérations de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) dans certaines conditions.
L’impact du droit européen sur la réglementation nationale
Le paquet « Énergie propre » de l’Union européenne, adopté en 2019, a profondément influencé le cadre juridique français. La directive (UE) 2019/944 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité a imposé aux États membres de supprimer les obstacles réglementaires au développement du stockage. Cette directive a été transposée en droit français par l’ordonnance n° 2021-236 du 3 mars 2021, qui a notamment clarifié le statut des opérateurs de stockage.
Protection juridique des innovations technologiques en matière de stockage
La protection des innovations dans le domaine du stockage d’énergie renouvelable constitue un enjeu stratégique majeur pour les entreprises du secteur. Le droit de la propriété intellectuelle offre plusieurs mécanismes de protection qui peuvent être mobilisés par les innovateurs.
Le brevet représente le mode de protection privilégié pour les innovations techniques. En France, l’Institut National de la Propriété Industrielle (INPI) est chargé de l’examen et de la délivrance des brevets. Pour être brevetable, une innovation en matière de stockage d’énergie doit satisfaire trois critères cumulatifs : la nouveauté, l’activité inventive et l’application industrielle. Le nombre de dépôts de brevets dans le domaine du stockage d’énergie a connu une croissance exponentielle ces dernières années, témoignant du dynamisme du secteur. Les innovations concernent notamment les batteries à flux, les supercondensateurs, le stockage thermique ou encore les technologies de l’hydrogène.
La durée de protection conférée par le brevet est de 20 ans à compter du dépôt de la demande. Cette durée peut s’avérer insuffisante dans un secteur où le développement et la commercialisation des technologies peuvent s’étendre sur plusieurs années. Pour remédier à cette difficulté, le certificat complémentaire de protection (CCP) peut, dans certains cas spécifiques, prolonger la durée de protection.
Au-delà du brevet, d’autres outils juridiques peuvent être mobilisés :
- Le secret des affaires, encadré par la loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018, peut protéger les informations techniques non brevetées
- Le droit d’auteur peut s’appliquer aux logiciels de gestion des systèmes de stockage
- Les dessins et modèles peuvent protéger l’apparence des produits
La stratégie de propriété intellectuelle doit être adaptée à chaque entreprise et à chaque innovation. Pour les startups du secteur, qui représentent une part significative des acteurs innovants, la constitution d’un portefeuille de brevets solide constitue souvent un atout déterminant pour attirer les investisseurs.
Les contrats de recherche et développement
L’innovation dans le stockage d’énergie s’appuie fréquemment sur des collaborations entre acteurs publics et privés. Ces partenariats donnent lieu à des contrats de recherche et développement dont la rédaction requiert une attention particulière, notamment concernant la propriété des résultats.
Le Crédit Impôt Recherche (CIR) constitue un dispositif fiscal incitatif majeur pour les entreprises investissant dans la R&D. Les dépenses liées au développement de nouvelles technologies de stockage peuvent être éligibles à ce dispositif, sous réserve de respecter les critères définis par l’administration fiscale. La jurisprudence du Conseil d’État a progressivement précisé ces critères, notamment dans sa décision du 9 septembre 2020 qui a confirmé l’éligibilité des travaux visant à améliorer significativement les performances de batteries existantes.
Mécanismes de soutien financier et incitations réglementaires
Le développement des technologies de stockage d’énergie renouvelable bénéficie de divers mécanismes de soutien financier, encadrés par le droit national et européen. Ces dispositifs visent à accélérer le déploiement de ces technologies en réduisant leur coût pour les opérateurs.
Les appels d’offres de la Commission de Régulation de l’Énergie (CRE) constituent un levier majeur pour le développement du stockage. Depuis 2019, plusieurs appels d’offres spécifiques ont été lancés pour le développement de capacités de stockage, notamment dans les zones non interconnectées (ZNI) comme la Corse et les départements d’outre-mer. Ces territoires, caractérisés par des réseaux électriques isolés, représentent des terrains d’expérimentation privilégiés pour le stockage d’énergie.
L’arrêté du 24 juillet 2020 a défini les conditions du complément de rémunération pour les installations de production d’électricité utilisant l’énergie mécanique du vent couplées à des dispositifs de stockage. Ce mécanisme permet de valoriser l’électricité produite par des éoliennes associées à des batteries, en garantissant un niveau de rémunération stable sur une longue période (20 ans). Ce dispositif favorise l’émergence de projets hybrides combinant production et stockage.
Le Programme d’Investissements d’Avenir (PIA), piloté par le Secrétariat Général pour l’Investissement (SGPI), finance des projets innovants dans le domaine du stockage d’énergie. Les modalités d’attribution de ces financements sont encadrées par des conventions entre l’État et les opérateurs du programme, comme Bpifrance ou l’ADEME. Ces conventions définissent les critères d’éligibilité, les procédures de sélection et les obligations des bénéficiaires.
À l’échelle européenne, le Fonds pour l’Innovation, créé dans le cadre du système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre, soutient les projets de démonstration de technologies bas-carbone, dont le stockage d’énergie. Ce fonds, doté de plusieurs milliards d’euros, est régi par le Règlement délégué (UE) 2019/856 qui précise les règles de fonctionnement et les critères de sélection des projets.
Au-delà des aides directes, des mécanismes de marché ont été mis en place pour valoriser les services rendus par le stockage d’énergie au système électrique :
- Le mécanisme de capacité, introduit par le décret n° 2012-1405 du 14 décembre 2012, permet de rémunérer la disponibilité des capacités de stockage lors des périodes de tension sur le réseau
- Les services système, encadrés par les règles approuvées par la CRE, rémunèrent la participation des installations de stockage au réglage de la fréquence et de la tension
Régime fiscal applicable aux installations de stockage
Le régime fiscal applicable aux installations de stockage d’énergie a connu plusieurs évolutions favorables ces dernières années. La loi de finances pour 2022 a confirmé l’éligibilité des systèmes de stockage par batteries à l’amortissement accéléré prévu pour les équipements destinés à économiser l’énergie. Cette disposition permet aux entreprises d’amortir ces investissements sur une durée réduite, améliorant ainsi leur rentabilité.
En matière de TVA, les équipements de stockage bénéficient du taux réduit de 10% lorsqu’ils sont intégrés à des travaux d’amélioration de la qualité énergétique des bâtiments, conformément à l’article 278-0 bis A du Code général des impôts. Cette disposition s’applique notamment aux batteries domestiques associées à des installations photovoltaïques.
Enjeux juridiques de l’intégration du stockage dans les réseaux énergétiques
L’intégration des installations de stockage dans les réseaux énergétiques soulève des questions juridiques complexes, notamment concernant les conditions d’accès aux réseaux et les responsabilités des différents acteurs.
Le statut juridique des opérateurs de stockage a été clarifié par l’ordonnance n° 2021-236 du 3 mars 2021, qui a transposé en droit français les dispositions de la directive européenne sur le marché de l’électricité. Cette ordonnance a consacré le principe selon lequel les gestionnaires de réseaux de transport et de distribution ne peuvent pas, sauf dérogation, posséder et exploiter des installations de stockage. Cette restriction vise à garantir la neutralité des gestionnaires de réseaux et à favoriser le développement d’un marché concurrentiel du stockage.
Les conditions de raccordement des installations de stockage aux réseaux publics d’électricité sont définies par les procédures de raccordement élaborées par les gestionnaires de réseaux et approuvées par la CRE. Ces procédures précisent notamment les délais, les coûts et les obligations techniques liées au raccordement. Pour les installations de stockage de grande puissance, le raccordement au réseau de transport géré par RTE nécessite la signature d’une convention de raccordement, qui fixe les conditions techniques et financières de l’opération.
La participation des installations de stockage aux marchés de l’électricité est encadrée par les règles AMIFOR (Accès au Marché Intérieur Français pour les Offres de Réserves) approuvées par la CRE. Ces règles définissent les conditions dans lesquelles les opérateurs de stockage peuvent proposer des services de flexibilité sur les différents marchés : marché spot, marché d’ajustement, réserves primaire et secondaire. La récente réforme du marché de l’équilibrage, mise en œuvre en 2022, a renforcé les opportunités pour les opérateurs de stockage en permettant une valorisation plus fine des services rendus au système électrique.
La responsabilité des opérateurs de stockage en cas de défaillance technique pouvant affecter la sécurité du réseau constitue un enjeu juridique majeur. Le contrat d’accès au réseau définit les obligations de l’exploitant en termes de maintenance et de disponibilité de son installation. En cas de manquement à ces obligations, des pénalités contractuelles peuvent s’appliquer. Par ailleurs, la responsabilité civile de l’exploitant peut être engagée en cas de dommages causés au réseau ou à des tiers.
Stockage et autoconsommation
Le développement de l’autoconsommation individuelle et collective offre de nouvelles perspectives pour le stockage d’énergie à petite échelle. Le cadre juridique de l’autoconsommation, défini aux articles L. 315-1 et suivants du Code de l’énergie, a été progressivement adapté pour faciliter l’intégration du stockage.
L’arrêté tarifaire du 6 octobre 2021 relatif à l’autoconsommation a introduit une prime spécifique pour les installations photovoltaïques équipées de dispositifs de stockage, reconnaissant ainsi la valeur ajoutée du stockage dans les projets d’autoconsommation. Cette prime, modulée en fonction de la capacité de stockage, vise à améliorer la rentabilité de ces installations hybrides.
Les opérations d’autoconsommation collective, qui permettent à plusieurs consommateurs et producteurs de partager de l’électricité au sein d’un périmètre géographique restreint, représentent un terrain favorable pour le déploiement de solutions de stockage mutualisées. Le décret n° 2021-1598 du 8 décembre 2021 a élargi le périmètre de ces opérations, facilitant ainsi l’émergence de projets de plus grande envergure intégrant du stockage.
Perspectives d’évolution et nouveaux horizons juridiques
Le cadre juridique du stockage d’énergie renouvelable est appelé à évoluer significativement dans les prochaines années, sous l’influence de plusieurs facteurs : progrès technologiques, baisse des coûts, renforcement des politiques climatiques et évolution du mix énergétique.
La taxonomie européenne pour les activités durables, établie par le Règlement (UE) 2020/852, intègre le stockage d’énergie parmi les activités contribuant à l’atténuation du changement climatique. Cette reconnaissance ouvre la voie à un fléchage accru des financements vers les projets de stockage, via notamment les obligations vertes et les fonds d’investissement durables. Les critères techniques définis par les actes délégués de la Commission européenne pour qualifier une activité de stockage comme durable deviennent progressivement une référence pour les acteurs financiers.
Le paquet législatif « Fit for 55 » proposé par la Commission européenne en juillet 2021, qui vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 55% d’ici 2030, devrait renforcer indirectement le rôle du stockage dans le système énergétique. La révision de la directive sur les énergies renouvelables prévoit notamment des objectifs plus ambitieux pour l’intégration des énergies variables, ce qui nécessitera un développement accéléré des capacités de stockage.
Au niveau national, la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie (PPE) pour la période 2024-2033, en cours d’élaboration, devrait accorder une place plus importante au stockage d’énergie. Les consultations préliminaires menées par le Ministère de la Transition Écologique suggèrent l’introduction d’objectifs chiffrés de déploiement pour différentes technologies de stockage, ce qui constituerait une avancée significative par rapport à la PPE actuelle.
L’émergence de nouveaux modèles économiques autour du stockage d’énergie pose des questions juridiques inédites. Le développement du vehicle-to-grid (V2G), qui permet d’utiliser les batteries des véhicules électriques comme source de flexibilité pour le réseau, nécessite d’adapter le cadre contractuel entre les propriétaires de véhicules, les fournisseurs d’électricité et les gestionnaires de réseaux. De même, les modèles de stockage-as-a-service, où un opérateur propose des capacités de stockage à la demande, soulèvent des questions en termes de qualification juridique et de régime fiscal applicable.
- La blockchain et les contrats intelligents pourraient révolutionner la gestion des échanges d’énergie impliquant du stockage
- Le développement du stockage délocalisé, réparti sur le territoire, pose des questions d’urbanisme et d’aménagement
- La seconde vie des batteries soulève des enjeux juridiques en termes de responsabilité et de garanties
Vers une harmonisation européenne du cadre juridique
L’harmonisation du cadre juridique à l’échelle européenne représente un enjeu majeur pour le développement du stockage d’énergie. Les disparités entre les régimes nationaux peuvent constituer un frein aux investissements transfrontaliers et à l’émergence d’un marché européen intégré.
Le réseau européen des gestionnaires de réseaux de transport d’électricité (ENTSO-E) travaille à l’élaboration de codes de réseau harmonisés pour l’intégration du stockage. Ces codes, une fois adoptés par la Commission européenne, s’imposeront à l’ensemble des États membres, garantissant une approche cohérente à l’échelle du continent.
Le développement de projets transfrontaliers de stockage, notamment dans le cadre des Projets d’Intérêt Commun (PIC) soutenus par l’Union européenne, nécessite une coordination renforcée entre les cadres juridiques nationaux. Le Règlement (UE) 2022/869 sur les infrastructures énergétiques transeuropéennes facilite la réalisation de ces projets en prévoyant des procédures d’autorisation accélérées et des mécanismes de partage des coûts entre pays bénéficiaires.
À plus long terme, l’émergence d’un droit européen du stockage d’énergie, regroupant l’ensemble des dispositions spécifiques à ce secteur, pourrait constituer une avancée majeure pour les acteurs du marché. Cette codification permettrait de renforcer la lisibilité et la prévisibilité du cadre juridique, tout en garantissant sa cohérence avec les autres branches du droit de l’énergie et de l’environnement.