
La tension entre développement urbain et préservation des terres agricoles constitue un défi majeur pour notre société. En France, près de 50 000 hectares de terres agricoles disparaissent chaque année sous l’effet de l’artificialisation des sols. Cette problématique soulève des questions fondamentales à l’intersection du droit rural, du droit de l’urbanisme et du droit de l’environnement. Face à l’impératif de souveraineté alimentaire et aux défis climatiques, la protection juridique des sols agricoles devient une priorité nationale. Les dispositifs légaux ont considérablement évolué ces dernières années, visant à concilier les besoins d’expansion urbaine avec la nécessité de préserver notre patrimoine agronomique.
Cadre juridique français de la protection des terres agricoles
Le droit français a progressivement renforcé ses outils juridiques pour protéger les espaces agricoles. La loi d’avenir pour l’agriculture de 2014 a marqué un tournant significatif en créant des mécanismes spécifiques de préservation. Cette évolution législative répond à une prise de conscience collective de la valeur stratégique des terres cultivables.
Au cœur du dispositif se trouve la Commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF). Cette instance consultative émet des avis sur l’opportunité des projets d’urbanisme susceptibles d’affecter des terres agricoles. Son pouvoir a été renforcé par la loi ELAN de 2018, lui conférant un rôle plus décisif dans certaines situations. La CDPENAF peut désormais émettre des avis conformes, contraignant ainsi les autorités locales à respecter ses recommandations.
Le Plan Local d’Urbanisme (PLU) constitue un outil fondamental pour la protection des terres agricoles. Il détermine les zones agricoles (A) où les constructions sont strictement limitées aux besoins de l’exploitation. La jurisprudence administrative a précisé les contours de cette protection, en invalidant régulièrement des modifications de PLU insuffisamment justifiées. Ainsi, dans un arrêt du Conseil d’État du 18 octobre 2018, les juges ont annulé une délibération municipale qui transformait une zone agricole en zone constructible sans démontrer la nécessité impérieuse de cette évolution.
La loi Climat et Résilience du 22 août 2021 a introduit l’objectif ambitieux de « zéro artificialisation nette » (ZAN) d’ici 2050, avec un objectif intermédiaire de réduction de moitié du rythme d’artificialisation sur la période 2021-2031. Cette disposition révolutionnaire impose aux collectivités territoriales de repenser fondamentalement leurs stratégies d’aménagement. Le législateur a prévu une mise en œuvre progressive, avec une intégration dans les documents d’urbanisme selon un calendrier échelonné. Cette approche témoigne d’une volonté de transformer en profondeur notre rapport à l’espace.
À ces dispositifs s’ajoutent des outils spécifiques comme les Zones Agricoles Protégées (ZAP) et les Périmètres de protection des espaces agricoles et naturels périurbains (PAEN). Les ZAP, créées par la loi d’orientation agricole de 1999, permettent de sanctuariser des terres agricoles à forte valeur agronomique. Une fois instaurée par arrêté préfectoral, une ZAP ne peut être modifiée qu’après avis favorable de la chambre d’agriculture et de la CDPENAF. Les PAEN, quant à eux, relèvent de l’initiative des départements et offrent une protection renforcée en périphérie des agglomérations, là où la pression foncière est particulièrement intense.
- Création des CDPENAF (2014)
- Renforcement du rôle des PLU dans la protection des zones A
- Objectif ZAN introduit par la loi Climat et Résilience (2021)
- Dispositifs spécifiques : ZAP et PAEN
Tensions entre urbanisme et agriculture : analyse des conflits juridiques
Les conflits entre développement urbain et préservation des terres agricoles génèrent un contentieux administratif abondant. L’examen de cette jurisprudence révèle les difficultés d’arbitrage entre des intérêts légitimes mais antagonistes. Le juge administratif se trouve fréquemment saisi de recours contre des documents d’urbanisme ou des autorisations de construire affectant des espaces agricoles.
L’un des points de friction majeurs concerne l’implantation d’infrastructures d’intérêt général sur des terres agricoles. Le Conseil d’État a dégagé une jurisprudence nuancée, reconnaissant la possibilité de déroger à la protection des zones agricoles pour des projets d’utilité publique, tout en soumettant ces dérogations à un contrôle strict de proportionnalité. Dans son arrêt du 7 juin 2019, Association Tarn-et-Garonne Environnement, la haute juridiction a validé l’implantation d’un parc photovoltaïque sur des terres agricoles, considérant que la production d’énergie renouvelable justifiait, en l’espèce, cette atteinte limitée.
La question de l’extension des zones commerciales périurbaines cristallise particulièrement les tensions. Un arrêt de la Cour Administrative d’Appel de Bordeaux du 12 mars 2020 a annulé l’autorisation d’exploitation commerciale d’un centre commercial, estimant que l’artificialisation de 15 hectares de terres agricoles n’était pas compensée par des avantages socio-économiques suffisants. Cette décision illustre l’évolution du contrôle juridictionnel vers une prise en compte accrue des enjeux agricoles face aux projets commerciaux.
Le cas particulier des installations agricoles en zone A
La définition même des constructions autorisées en zone agricole suscite des interprétations divergentes. La jurisprudence a progressivement précisé les contours de la notion de « nécessité pour l’exploitation agricole ». Un arrêt de la Cour Administrative d’Appel de Lyon du 4 février 2020 a refusé de qualifier de bâtiment agricole un hangar destiné principalement au stockage de matériel utilisé pour des activités para-agricoles. Cette approche restrictive vise à prévenir les détournements du statut protecteur des zones A.
Les projets agrivoltaïques, combinant production agricole et production d’énergie solaire, constituent un nouveau défi juridique. Le législateur a tenté d’encadrer ce phénomène par la loi d’accélération des énergies renouvelables du 10 mars 2023, qui définit des critères stricts pour qualifier une installation d’agrivoltaïque. Néanmoins, les tribunaux administratifs sont régulièrement saisis de contentieux relatifs à ces installations hybrides, révélant les difficultés d’application de ce nouveau cadre normatif.
Les conflits juridiques se manifestent avec une acuité particulière dans les zones périurbaines, où la valeur foncière des terres agricoles est démultipliée par la perspective d’un changement de destination. La spéculation foncière engendre des stratégies d’anticipation, comme l’acquisition de parcelles agricoles par des opérateurs immobiliers qui maintiennent une activité agricole minimale dans l’attente d’une évolution favorable des documents d’urbanisme. Face à ces pratiques, les juges administratifs ont développé la théorie de la fraude à la loi, permettant d’écarter des montages juridiques visant à contourner les protections des zones agricoles.
- Jurisprudence sur l’implantation d’infrastructures d’intérêt général
- Contrôle strict des extensions commerciales périurbaines
- Définition restrictive des constructions autorisées en zone A
- Encadrement juridique des projets agrivoltaïques
- Lutte contre la spéculation foncière et les stratégies de contournement
Mécanismes de compensation et principes d’équilibre territorial
Face à l’inéluctabilité de certaines conversions de terres agricoles, le droit français a développé des mécanismes de compensation visant à maintenir un équilibre territorial global. Ces dispositifs reposent sur le principe selon lequel toute artificialisation doit être contrebalancée par des mesures positives en faveur de l’agriculture.
La compensation collective agricole, introduite par la loi d’avenir pour l’agriculture de 2014, constitue une innovation majeure. Elle impose aux maîtres d’ouvrage de projets d’aménagement de grande ampleur (plus de 5 hectares) de réaliser une étude préalable analysant les effets du projet sur l’économie agricole du territoire. Si des impacts négatifs significatifs sont identifiés, le porteur de projet doit proposer des mesures compensatoires collectives visant à consolider l’économie agricole locale. Ces mesures peuvent prendre diverses formes : financement d’infrastructures agricoles, soutien à des filières de valorisation, participation à des opérations de restructuration foncière.
La mise en œuvre de ce dispositif a été précisée par le décret du 31 août 2016, qui détaille la méthodologie d’évaluation des impacts et les modalités de consultation de la Commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers. L’expérience montre que les montants de compensation varient considérablement selon les territoires, reflétant les disparités de valeur agronomique et économique des terres concernées. Dans certains départements, comme la Haute-Garonne, les préfets ont établi des barèmes indicatifs pour harmoniser les pratiques.
La reconquête des friches : un levier pour limiter l’étalement urbain
Parallèlement, la loi Climat et Résilience a renforcé les incitations à la reconversion des friches urbaines et industrielles. Cette approche s’inscrit dans une logique de compensation indirecte, en orientant la pression urbaine vers des espaces déjà artificialisés plutôt que vers des terres agricoles. Le fonds friches, doté initialement de 300 millions d’euros dans le cadre du plan de relance, puis pérennisé, illustre cette volonté politique.
La jurisprudence a progressivement intégré cette dimension compensatoire dans son contrôle des documents d’urbanisme. Un arrêt notable du Conseil d’État du 8 décembre 2022 a validé un Schéma de Cohérence Territoriale (SCoT) prévoyant l’artificialisation de terres agricoles, en relevant que ce document comportait des mesures substantielles de densification urbaine et de reconquête de friches, assurant ainsi un équilibre territorial global.
Les Projets Alimentaires Territoriaux (PAT), institués par la loi d’avenir pour l’agriculture, constituent un autre levier de compensation. Ces projets, portés par les collectivités territoriales, visent à relocaliser l’agriculture et l’alimentation dans les territoires. Ils peuvent inclure des mesures de préservation du foncier agricole, notamment par l’acquisition publique de terres menacées d’artificialisation. La Société d’Aménagement Foncier et d’Établissement Rural (SAFER) joue un rôle central dans ces stratégies, en exerçant son droit de préemption au profit de projets agricoles structurants.
Le principe d’équilibre territorial trouve une expression particulière dans les zones de montagne et sur le littoral, soumis à des pressions spécifiques. La loi Montagne et la loi Littoral comportent des dispositions visant à préserver les terres agricoles dans ces espaces fragiles. La jurisprudence administrative a développé une interprétation stricte de ces textes, comme l’illustre un arrêt de la Cour Administrative d’Appel de Marseille du 25 mai 2021, qui a annulé un permis de construire dans une commune littorale en raison de son impact sur des espaces agricoles remarquables.
- Mécanisme de compensation collective agricole pour les grands projets
- Reconversion des friches comme alternative à l’étalement urbain
- Rôle des Projets Alimentaires Territoriaux dans la préservation foncière
- Protections renforcées en zones de montagne et sur le littoral
Gouvernance et acteurs institutionnels de la protection des sols agricoles
La protection des sols agricoles mobilise une pluralité d’acteurs institutionnels, dont les compétences s’articulent dans un système de gouvernance complexe. Cette architecture institutionnelle reflète la dimension transversale de l’enjeu, à la croisée des politiques agricoles, environnementales et d’aménagement du territoire.
Au niveau national, le ministère de l’Agriculture définit les orientations stratégiques de préservation du foncier agricole, tandis que le ministère de la Transition écologique pilote les politiques de lutte contre l’artificialisation des sols. Cette dualité ministérielle se retrouve dans les services déconcentrés de l’État, avec les Directions départementales des territoires (DDT) qui jouent un rôle pivot dans l’application locale des politiques foncières. Les DDT assurent notamment le secrétariat des Commissions départementales de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers, instance clé dans le dispositif de protection.
Les collectivités territoriales exercent des compétences déterminantes en matière d’urbanisme et d’aménagement. Les communes et intercommunalités élaborent les documents d’urbanisme (PLU, PLUi) qui délimitent les zones agricoles à protéger. Les Régions, à travers les Schémas Régionaux d’Aménagement, de Développement Durable et d’Égalité des Territoires (SRADDET), fixent des objectifs de modération de la consommation d’espaces naturels et agricoles. Les Départements disposent quant à eux de la compétence pour créer des Périmètres de protection des espaces agricoles et naturels périurbains.
Le rôle spécifique des organismes professionnels agricoles
Les Chambres d’agriculture jouent un rôle consultatif fondamental dans les procédures d’élaboration des documents d’urbanisme. Leur expertise technique permet d’identifier les enjeux agricoles locaux et de formuler des recommandations adaptées. Elles sont systématiquement consultées lors de l’élaboration ou de la révision des PLU et des SCoT. Dans certaines régions, comme en Occitanie, les Chambres d’agriculture ont développé des observatoires du foncier agricole, fournissant aux décideurs publics des données précises sur l’évolution des surfaces cultivées.
Les Sociétés d’Aménagement Foncier et d’Établissement Rural (SAFER) constituent un acteur opérationnel majeur. Dotées d’un droit de préemption sur les ventes de terres agricoles, elles peuvent intervenir pour maintenir la vocation agricole de parcelles menacées de changement d’usage. Leur mission a été élargie par la loi d’avenir pour l’agriculture, qui leur permet désormais d’intervenir explicitement pour lutter contre la spéculation foncière et protéger les espaces naturels et agricoles. En 2022, les SAFER ont préempté plus de 15 000 hectares, contribuant ainsi concrètement à la préservation du patrimoine agronomique national.
La coordination entre ces multiples acteurs s’opère au sein d’instances de concertation comme les Commissions départementales de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers. Ces commissions réunissent représentants de l’État, élus locaux, professionnels agricoles et associations environnementales. Leur composition pluraliste vise à garantir une approche équilibrée des enjeux. Leur fonctionnement a été précisé par le décret du 9 juin 2015, qui détaille les modalités de saisine et les délais d’examen des dossiers.
L’efficacité de cette gouvernance multi-acteurs dépend largement de la qualité du dialogue territorial. Des expériences innovantes de médiation foncière ont été développées dans plusieurs territoires, comme dans le Parc naturel régional de la Haute Vallée de Chevreuse, où un dispositif de concertation préalable permet d’anticiper les conflits d’usage et de rechercher des solutions consensuelles. Ces démarches participatives complètent utilement le cadre juridique formel, en favorisant l’appropriation locale des enjeux de préservation.
- Articulation des compétences entre État et collectivités territoriales
- Rôle consultatif des Chambres d’agriculture
- Pouvoir d’intervention des SAFER sur le marché foncier
- Instances de concertation pluralistes (CDPENAF)
- Démarches innovantes de médiation foncière
Perspectives d’évolution : vers une sanctuarisation renforcée des terres agricoles
L’avenir de la protection juridique des sols agricoles s’inscrit dans un contexte d’exigences croissantes en matière de souveraineté alimentaire et de transition écologique. Plusieurs évolutions législatives et jurisprudentielles se dessinent, annonçant un renforcement probable des mécanismes de préservation.
La mise en œuvre de l’objectif « zéro artificialisation nette » (ZAN) constitue un défi majeur pour les années à venir. Les décrets d’application de la loi Climat et Résilience, publiés en avril 2022, ont précisé la méthodologie de calcul de l’artificialisation et les modalités de territorialisation des objectifs. Néanmoins, de nombreuses collectivités territoriales expriment des inquiétudes quant à la faisabilité de ces objectifs, particulièrement dans les territoires ruraux en croissance démographique. Un rapport parlementaire de Jean-Baptiste Moreau, député de la Creuse, publié en janvier 2023, préconise une application différenciée selon les territoires, tenant compte des dynamiques démographiques et économiques locales.
Le Conseil constitutionnel a été saisi en février 2023 d’une question prioritaire de constitutionnalité relative aux dispositions de la loi Climat et Résilience sur l’artificialisation des sols. Dans sa décision du 28 avril 2023, il a validé l’essentiel du dispositif, considérant que l’atteinte au droit de propriété et à la libre administration des collectivités territoriales était justifiée par l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement. Cette décision conforte juridiquement la trajectoire ZAN, tout en rappelant la nécessité d’une mise en œuvre proportionnée.
Vers une réforme du statut juridique des sols
Une réflexion plus fondamentale s’engage sur le statut juridique des sols agricoles. Plusieurs propositions doctrinales suggèrent de reconnaître la valeur patrimoniale intrinsèque des terres cultivables, au-delà de leur simple valeur marchande. Le rapport « Terres d’Europe » remis au ministre de l’Agriculture en septembre 2022 propose d’inscrire dans le Code rural un principe de « préservation du patrimoine agronomique national », qui s’imposerait à toutes les décisions publiques. Cette évolution conceptuelle pourrait conduire à une hiérarchisation plus claire des usages du sol, plaçant la fonction nourricière au premier rang.
Sur le plan opérationnel, le renforcement des outils de maîtrise foncière publique apparaît comme une tendance de fond. Le développement des Établissements Publics Fonciers (EPF) locaux, dotés de moyens financiers significatifs, permet d’envisager des stratégies d’acquisition préventive de terres agricoles stratégiques. Dans le même esprit, plusieurs Régions, comme la Normandie et la Nouvelle-Aquitaine, ont créé des fonds d’investissement dédiés au portage foncier agricole, permettant de soustraire durablement certaines terres à la pression spéculative.
L’intégration des enjeux climatiques dans la protection des sols agricoles constitue une autre perspective d’évolution. La reconnaissance du rôle des terres agricoles dans la séquestration du carbone et la régulation du cycle de l’eau pourrait conduire à un renforcement de leur protection juridique. Un projet de directive européenne sur la protection des sols, actuellement en discussion, prévoit d’imposer aux États membres l’adoption de mesures spécifiques pour préserver les sols à haute valeur agronomique et écologique. Cette évolution du droit européen pourrait accélérer la transformation du cadre juridique national.
Enfin, l’émergence de nouveaux modèles agricoles, plus intensifs en main-d’œuvre et moins consommateurs d’espace, comme l’agroécologie ou l’agriculture urbaine, invite à repenser la conception même des zones agricoles dans les documents d’urbanisme. Des expérimentations juridiques sont en cours dans plusieurs métropoles, comme Nantes ou Montpellier, pour créer des zones agricoles urbaines ou périurbaines bénéficiant de protections renforcées et de servitudes positives favorisant l’installation de nouveaux agriculteurs. Ces innovations locales pourraient préfigurer une évolution plus globale du droit de l’urbanisme vers une meilleure reconnaissance de la multifonctionnalité des espaces agricoles.
- Défis de mise en œuvre de l’objectif ZAN
- Réflexion sur le statut juridique des sols agricoles
- Développement des outils de maîtrise foncière publique
- Intégration des enjeux climatiques dans la protection des sols
- Adaptation du droit aux nouveaux modèles agricoles
La dimension stratégique des sols agricoles : au-delà de la simple protection
La préservation des sols agricoles s’inscrit désormais dans une vision stratégique qui dépasse la simple logique conservatoire. Elle participe d’une réflexion plus large sur la résilience territoriale et la souveraineté alimentaire, plaçant le foncier agricole au cœur des enjeux de sécurité nationale.
La crise sanitaire de 2020 a joué un rôle révélateur, mettant en lumière la vulnérabilité de nos systèmes alimentaires et l’importance critique de maintenir des capacités de production locales. Dans ce contexte, plusieurs textes législatifs récents ont consacré la notion de « souveraineté alimentaire » comme objectif d’intérêt général. La loi EGALIM 2 du 18 octobre 2021 fait explicitement référence à cet objectif, créant ainsi un nouveau fondement juridique pour justifier des mesures restrictives en matière d’urbanisation des terres agricoles.
Cette approche stratégique se traduit par une différenciation croissante dans la protection des sols selon leur potentiel agronomique. Un arrêt novateur de la Cour Administrative d’Appel de Nancy du 17 juin 2021 a validé un zonage agricole différencié dans un PLU, distinguant les terres à fort potentiel agronomique (classées Az) des terres ordinaires (classées A), avec un régime de protection renforcé pour les premières. Cette jurisprudence ouvre la voie à une hiérarchisation des protections en fonction de la valeur productive des sols.
L’enjeu de la qualité des sols
La qualité des sols émerge comme une préoccupation centrale, au-delà de la seule question quantitative des surfaces préservées. Le Plan Biodiversité de 2018 a initié un programme national d’analyse de la qualité des sols agricoles, visant à constituer une cartographie fine du patrimoine pédologique français. Ces données scientifiques commencent à être mobilisées dans l’élaboration des documents d’urbanisme, permettant d’orienter l’urbanisation vers les terres de moindre qualité agronomique.
Le droit fiscal évolue également pour intégrer cette dimension qualitative. Une proposition de réforme de la fiscalité foncière, portée par plusieurs parlementaires, vise à moduler la taxation des plus-values sur les terrains rendus constructibles en fonction de la qualité agronomique des sols concernés. Cette approche incitative complèterait utilement les dispositifs réglementaires existants.
La question des usages concurrents des sols agricoles se pose avec une acuité renouvelée dans le contexte de la transition énergétique. L’implantation de parcs photovoltaïques ou éoliens sur des terres agricoles suscite des débats juridiques complexes. La loi d’accélération des énergies renouvelables du 10 mars 2023 a tenté d’apporter des réponses équilibrées, en définissant des critères précis pour l’agrivoltaïsme et en excluant l’implantation de centrales solaires au sol sur les terres à fort potentiel agronomique. Ces dispositions témoignent d’une volonté de hiérarchiser les usages des sols selon leur contribution à la résilience territoriale.
La dimension internationale de la protection des sols agricoles mérite enfin d’être soulignée. La France a ratifié en 2019 la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification, qui comporte un volet spécifique sur la préservation des terres arables. Cette ratification crée des obligations internationales qui pourraient influencer l’évolution future du droit interne. Par ailleurs, les négociations commerciales internationales intègrent progressivement des clauses relatives à la protection des terres agricoles, reconnaissant ainsi leur valeur stratégique à l’échelle mondiale.
- Reconnaissance juridique de l’objectif de souveraineté alimentaire
- Différenciation des protections selon le potentiel agronomique
- Intégration de la dimension qualitative des sols
- Arbitrages avec les enjeux de transition énergétique
- Dimension internationale de la protection des sols agricoles