L’encadrement juridique des obligations de divulgation climatique : évolution, défis et perspectives

Face à l’urgence climatique, les autorités réglementaires mondiales ont progressivement établi des cadres juridiques contraignant les entreprises à communiquer leur impact environnemental. Ces obligations de divulgation climatique représentent un tournant majeur dans la régulation des activités économiques. Elles visent à renforcer la transparence des informations relatives aux risques climatiques et à orienter les flux financiers vers une économie bas-carbone. De l’Accord de Paris aux directives européennes en passant par les régulations nationales, un arsenal juridique complexe se développe, imposant aux organisations de mesurer, documenter et publier leur empreinte carbone ainsi que leurs stratégies d’adaptation. Ce mouvement réglementaire transforme profondément les obligations de reporting des entreprises et soulève d’importantes questions juridiques relatives à leur mise en œuvre.

Fondements et évolution du cadre normatif des divulgations climatiques

L’émergence des obligations de divulgation climatique s’inscrit dans un contexte d’intensification des préoccupations environnementales à l’échelle mondiale. Initialement volontaires et principalement portées par des initiatives privées, ces exigences se sont progressivement institutionnalisées et formalisées dans des instruments juridiques contraignants. L’Accord de Paris de 2015 constitue un jalon déterminant dans cette trajectoire, en établissant un objectif global de limitation du réchauffement climatique et en reconnaissant implicitement la nécessité d’une transparence accrue concernant les émissions de gaz à effet de serre.

Au niveau international, la Task Force on Climate-related Financial Disclosures (TCFD), créée en 2015 par le Conseil de stabilité financière, a joué un rôle précurseur en élaborant un cadre de référence pour les informations climatiques à destination des investisseurs. Bien que non contraignantes, les recommandations de la TCFD ont largement influencé les développements réglementaires ultérieurs. Elles s’articulent autour de quatre piliers fondamentaux :

  • La gouvernance des risques et opportunités liés au climat
  • La stratégie et son intégration dans la planification financière
  • La gestion des risques climatiques
  • Les métriques et objectifs utilisés pour évaluer ces risques

Dans l’Union européenne, l’évolution normative s’est accélérée avec l’adoption du Pacte vert en 2019, suivie de la directive sur le reporting de durabilité des entreprises (CSRD) qui remplace et renforce considérablement la directive sur l’information non financière (NFRD). Cette nouvelle réglementation élargit le périmètre des entreprises concernées et impose des exigences plus détaillées concernant la divulgation d’informations climatiques. Elle s’appliquera progressivement à partir de 2024 pour les grandes entreprises cotées, puis s’étendra aux PME cotées d’ici 2026.

Aux États-Unis, la Securities and Exchange Commission (SEC) a proposé en mars 2022 une réglementation majeure exigeant des entreprises cotées qu’elles divulguent des informations standardisées sur les risques climatiques et leur impact financier. Cette initiative marque un changement significatif dans l’approche américaine, traditionnellement plus réticente à imposer des obligations environnementales strictes aux entreprises.

La Chine, premier émetteur mondial de gaz à effet de serre, a également amorcé un virage réglementaire avec l’annonce en 2021 d’un système national de divulgation obligatoire des informations environnementales pour les entreprises cotées, qui devrait être pleinement opérationnel d’ici 2025.

Cette convergence réglementaire internationale témoigne d’une prise de conscience collective de la nécessité d’intégrer les considérations climatiques dans la sphère économique et financière. Elle reflète une transformation profonde de la conception traditionnelle du reporting d’entreprise, désormais étendu aux enjeux environnementaux et sociaux. La multiplication des cadres normatifs pose néanmoins d’importants défis d’harmonisation et de cohérence, avec des risques de fragmentation réglementaire qui pourraient compromettre l’efficacité globale du système.

Contenu et portée des obligations légales de divulgation climatique

Les obligations de divulgation climatique varient considérablement selon les juridictions, mais tendent progressivement vers une standardisation accrue. Leur contenu s’articule généralement autour de plusieurs dimensions complémentaires qui visent à offrir une vision complète de l’exposition des entreprises aux risques climatiques et de leur contribution au changement climatique.

La mesure et le reporting des émissions de gaz à effet de serre

Le socle fondamental des obligations de divulgation concerne la quantification et la publication des émissions de gaz à effet de serre (GES). La méthodologie du Greenhouse Gas Protocol s’est imposée comme la référence internationale, distinguant trois périmètres d’émissions :

  • Scope 1 : émissions directes provenant des installations détenues ou contrôlées par l’entreprise
  • Scope 2 : émissions indirectes liées à la consommation d’électricité, de chaleur ou de vapeur
  • Scope 3 : autres émissions indirectes, en amont et en aval de la chaîne de valeur

Si les scopes 1 et 2 font l’objet d’une obligation de reporting relativement consensuelle, l’inclusion du scope 3 demeure plus controversée en raison des difficultés méthodologiques qu’elle soulève. Néanmoins, la CSRD européenne et le projet de réglementation de la SEC américaine prévoient des obligations de divulgation couvrant l’ensemble des trois scopes, avec certaines nuances et exceptions.

L’évaluation et la gestion des risques climatiques

Au-delà de l’empreinte carbone, les entreprises doivent progressivement divulguer leur exposition aux risques climatiques, généralement catégorisés en :

Risques physiques : impacts directs des phénomènes climatiques extrêmes (inondations, sécheresses, tempêtes) ou des changements graduels (élévation du niveau de la mer, modification des régimes de précipitations) sur les activités, les actifs et les chaînes d’approvisionnement.

Risques de transition : conséquences des évolutions réglementaires, technologiques et de marché liées à la transition vers une économie bas-carbone, incluant notamment le risque d’actifs échoués (stranded assets).

La directive européenne CSRD exige ainsi une description détaillée des processus d’identification et d’évaluation de ces risques, ainsi que des mesures prises pour les atténuer. Elle impose également une analyse de résilience basée sur différents scénarios climatiques, conformément aux recommandations de la TCFD.

Les stratégies climatiques et les objectifs de réduction

Les cadres réglementaires récents exigent de plus en plus la divulgation des stratégies climatiques adoptées par les entreprises, incluant leurs engagements de réduction d’émissions et leur alignement avec les objectifs de l’Accord de Paris. Cette dimension prospective du reporting climatique vise à évaluer la crédibilité des trajectoires de décarbonation annoncées et à prévenir les pratiques de greenwashing.

La CSRD européenne impose ainsi aux entreprises de publier leurs objectifs de réduction à court, moyen et long terme, ainsi que les plans de transition associés. Elle exige également une information sur la compatibilité de ces objectifs avec la limitation du réchauffement climatique à 1,5°C, conformément aux recommandations scientifiques.

La portée juridique de ces obligations varie selon les systèmes légaux. Dans l’Union européenne, le non-respect des obligations de divulgation peut entraîner des sanctions administratives, tandis qu’aux États-Unis, le projet de la SEC s’inscrit dans le cadre plus large de la protection des investisseurs contre les informations trompeuses, avec des implications potentielles en termes de responsabilité civile et pénale.

L’extension progressive du périmètre d’application constitue une tendance majeure de ces réglementations. Initialement limitées aux grandes entreprises cotées, les obligations de divulgation climatique s’étendent désormais aux entreprises non cotées d’une certaine taille, voire à certaines PME. Cette évolution reflète la reconnaissance du fait que l’impact climatique n’est pas l’apanage des seules multinationales et que la transition écologique nécessite une mobilisation de l’ensemble du tissu économique.

Défis juridiques et techniques de la mise en conformité

La mise en œuvre des obligations de divulgation climatique confronte les entreprises à d’importants défis juridiques et techniques. Ces difficultés découlent à la fois de la complexité intrinsèque de la mesure des impacts climatiques et de l’incertitude persistante quant à l’interprétation des exigences réglementaires.

Les incertitudes méthodologiques

Le premier obstacle majeur réside dans les incertitudes méthodologiques qui entourent la quantification des émissions de gaz à effet de serre, particulièrement pour le scope 3. L’absence de méthodes de calcul universellement acceptées et la disponibilité limitée de données fiables compliquent considérablement l’exercice. Les entreprises doivent souvent recourir à des approximations et des facteurs d’émission génériques, ce qui soulève des questions quant à la fiabilité et à la comparabilité des informations divulguées.

La Commission européenne a tenté de répondre à ces préoccupations en développant des standards européens de reporting de durabilité (ESRS) dans le cadre de la CSRD, mais leur mise en œuvre pratique reste complexe. Aux États-Unis, la SEC a proposé une approche plus flexible, permettant aux entreprises de choisir leur méthodologie de calcul à condition de la documenter de manière transparente.

La gestion de la double matérialité

Le concept de double matérialité, central dans la réglementation européenne, représente un défi juridique significatif. Il exige des entreprises qu’elles évaluent non seulement l’impact financier du changement climatique sur leurs activités (matérialité financière), mais également l’impact de leurs activités sur le climat (matérialité environnementale). Cette approche holistique, bien que pertinente d’un point de vue écologique, complexifie l’exercice de reporting et crée des tensions avec la conception plus restrictive de la matérialité qui prévaut dans certaines juridictions, notamment aux États-Unis.

La détermination des seuils de matérialité applicables aux informations climatiques constitue un autre point d’achoppement. En l’absence de jurisprudence établie, les entreprises doivent exercer leur jugement professionnel dans un contexte d’incertitude juridique, avec le risque de voir leurs décisions contestées ultérieurement par les régulateurs ou les investisseurs.

Les risques de contentieux climatiques

L’expansion des obligations de divulgation climatique s’accompagne d’une augmentation des risques de contentieux. Les entreprises s’exposent à des poursuites pour information trompeuse ou incomplète, notamment lorsque leurs divulgations s’avèrent incompatibles avec leurs actions réelles ou lorsque leurs objectifs de réduction d’émissions manquent de crédibilité.

Le cas emblématique de Deutsche Bank et sa filiale DWS, accusées de greenwashing par les autorités allemandes et américaines en 2022, illustre cette vulnérabilité juridique croissante. De même, l’action intentée contre Shell aux Pays-Bas en 2021, qui a conduit à une décision judiciaire imposant à l’entreprise de réduire ses émissions de 45% d’ici 2030, témoigne de l’importance croissante accordée aux engagements climatiques des entreprises.

Pour atténuer ces risques, les entreprises doivent mettre en place des procédures robustes de collecte et de vérification des données climatiques, ainsi que des mécanismes de gouvernance adaptés. Elles doivent également veiller à la cohérence entre leurs divulgations climatiques et leurs autres communications publiques, y compris leur publicité et leur marketing.

La fragmentation réglementaire internationale

La fragmentation réglementaire constitue un défi majeur pour les entreprises opérant à l’échelle mondiale. La multiplication des cadres normatifs nationaux et régionaux, avec leurs exigences spécifiques et parfois contradictoires, génère une complexité administrative considérable et des coûts de mise en conformité élevés.

Les initiatives d’harmonisation internationale, comme la création de l’International Sustainability Standards Board (ISSB) en 2021, visent à répondre à cette problématique en développant un socle commun de standards de reporting climatique. Toutefois, les divergences persistantes entre l’approche européenne, centrée sur la double matérialité, et l’approche américaine, davantage axée sur la matérialité financière, limitent les perspectives d’une convergence totale à court terme.

Dans ce contexte, les entreprises multinationales sont contraintes d’adopter une approche modulaire du reporting climatique, en adaptant leurs divulgations aux exigences spécifiques de chaque juridiction tout en maintenant une cohérence globale dans leur stratégie climatique. Cette complexité réglementaire risque d’accentuer les inégalités entre les grandes entreprises, disposant des ressources nécessaires pour naviguer dans ce labyrinthe normatif, et les acteurs de taille plus modeste, pour lesquels la mise en conformité représente un fardeau proportionnellement plus lourd.

Impacts juridiques sur la gouvernance d’entreprise et la responsabilité des dirigeants

L’émergence des obligations de divulgation climatique transforme profondément les structures de gouvernance d’entreprise et redéfinit les contours de la responsabilité des dirigeants. Cette évolution s’inscrit dans un mouvement plus large d’intégration des considérations environnementales dans les processus décisionnels des organisations.

Transformation des organes de gouvernance

Les exigences de reporting climatique conduisent à une restructuration des organes de gouvernance des entreprises. Les conseils d’administration sont désormais appelés à superviser directement les stratégies climatiques et à s’assurer de la fiabilité des informations divulguées. Cette responsabilité accrue se traduit par la création de comités spécialisés dédiés aux questions environnementales et par l’intégration de compétences climatiques dans les critères de sélection des administrateurs.

La CSRD européenne formalise cette évolution en exigeant une description détaillée du rôle des organes d’administration, de direction et de surveillance dans la supervision des questions climatiques. Elle impose également la divulgation des compétences et expertises disponibles au sein de ces organes pour traiter efficacement ces enjeux.

Cette transformation de la gouvernance s’accompagne d’une modification des systèmes de rémunération des dirigeants, avec l’intégration croissante de critères de performance climatique dans la détermination des composantes variables de leur rémunération. Selon une étude de PwC de 2022, plus de 50% des entreprises du CAC 40 intègrent désormais des objectifs environnementaux dans leurs politiques de rémunération des dirigeants.

Extension de la responsabilité juridique des dirigeants

L’expansion des obligations de divulgation climatique entraîne un élargissement de la responsabilité juridique des dirigeants. Dans de nombreuses juridictions, les administrateurs et dirigeants peuvent désormais être tenus personnellement responsables de divulgations climatiques trompeuses ou incomplètes, au titre de leur obligation de diligence et de loyauté.

En France, la loi sur le devoir de vigilance de 2017 impose aux grandes entreprises d’établir et de mettre en œuvre un plan de vigilance incluant les risques environnementaux liés à leurs activités. Le non-respect de cette obligation peut engager la responsabilité civile des dirigeants. De même, au Royaume-Uni, le Companies Act impose aux administrateurs de prendre en compte l’impact environnemental des décisions d’entreprise dans le cadre de leur devoir fiduciaire.

Cette extension de la responsabilité se manifeste également à travers l’émergence de contentieux climatiques ciblant directement les dirigeants. L’action intentée contre les administrateurs de Shell par l’ONG ClientEarth en 2023, les accusant de manquement à leurs devoirs fiduciaires pour défaut d’adoption d’une stratégie climatique adéquate, illustre cette tendance. Bien que rejetée en première instance, cette affaire témoigne de l’émergence de nouvelles formes de responsabilisation des dirigeants face aux enjeux climatiques.

Émergence de nouvelles fonctions et compétences juridiques

Pour répondre à ces exigences accrues, les entreprises développent de nouvelles fonctions spécialisées et renforcent leurs compétences juridiques internes. Le poste de Chief Sustainability Officer (CSO) s’institutionnalise au sein des grandes organisations, avec un rattachement direct à la direction générale reflétant l’importance stratégique des questions climatiques.

Les départements juridiques se transforment également pour intégrer des expertises en droit de l’environnement et en réglementation climatique. Ils doivent désormais assurer une veille réglementaire continue, coordonner le processus de collecte et de vérification des données climatiques, et valider les divulgations avant leur publication pour limiter les risques contentieux.

Cette évolution s’accompagne d’un développement significatif du marché du conseil juridique spécialisé dans les questions climatiques. Les cabinets d’avocats créent des départements dédiés au droit climatique et à la conformité ESG (Environnement, Social, Gouvernance), témoignant de la technicité croissante de ces problématiques et de leur importance dans la stratégie juridique des entreprises.

L’intégration des considérations climatiques dans la gouvernance d’entreprise soulève néanmoins d’importantes questions juridiques quant à la hiérarchisation des intérêts à protéger. La tension potentielle entre la maximisation de la valeur actionnariale à court terme et la poursuite d’objectifs climatiques de long terme demeure un défi majeur pour les dirigeants, particulièrement dans les juridictions où la primauté de l’intérêt des actionnaires reste un principe directeur du droit des sociétés.

Vers une standardisation globale des exigences de divulgation climatique

La diversité actuelle des cadres réglementaires régissant les obligations de divulgation climatique génère une complexité considérable pour les entreprises et limite l’efficacité globale du système. Face à ce constat, un mouvement de convergence internationale s’amorce, porté par la reconnaissance des bénéfices d’une standardisation accrue.

Les initiatives d’harmonisation internationale

La création de l’International Sustainability Standards Board (ISSB) en novembre 2021, sous l’égide de la Fondation IFRS, constitue l’initiative la plus significative en matière d’harmonisation des normes de divulgation climatique. Cette nouvelle instance a pour mission de développer un ensemble global de standards de reporting de durabilité, en commençant par les informations climatiques.

En mars 2023, l’ISSB a publié ses deux premiers standards :

  • IFRS S1 : Exigences générales pour la divulgation d’informations financières liées à la durabilité
  • IFRS S2 : Divulgations spécifiques aux informations financières liées au climat

Ces normes, inspirées des recommandations de la TCFD et du Sustainability Accounting Standards Board (SASB), visent à établir un socle commun d’exigences de reporting climatique acceptées à l’échelle mondiale. Elles adoptent une approche centrée sur la matérialité financière, en se concentrant sur les informations pertinentes pour les investisseurs et les autres fournisseurs de capitaux.

Parallèlement, le G20 et le Financial Stability Board soutiennent activement cette démarche d’harmonisation, reconnaissant l’importance d’un cadre cohérent pour évaluer les risques climatiques systémiques. L’Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV) a également manifesté son soutien aux travaux de l’ISSB, ouvrant la voie à une adoption potentielle de ces standards par les régulateurs nationaux des marchés financiers.

Les défis de la convergence réglementaire

Malgré ces avancées, d’importants obstacles subsistent sur la voie d’une standardisation globale. La principale tension réside dans la divergence conceptuelle entre l’approche européenne de la double matérialité, qui considère à la fois l’impact du climat sur l’entreprise et l’impact de l’entreprise sur le climat, et l’approche plus restrictive de la matérialité financière privilégiée par l’ISSB et les autorités américaines.

La Commission européenne a engagé un dialogue avec l’ISSB pour explorer les possibilités d’interopérabilité entre les standards européens (ESRS) et les normes internationales. L’objectif est de permettre aux entreprises européennes de satisfaire simultanément aux exigences de la CSRD et aux standards de l’ISSB à travers un reporting unique, en évitant les duplications inutiles.

Les différences d’approche concernant le scope 3 constituent un autre point de friction. Si la réglementation européenne impose une divulgation complète des émissions indirectes, le projet de la SEC américaine adopte une position plus nuancée, n’exigeant la publication du scope 3 que lorsque ces informations sont jugées significatives ou lorsque l’entreprise a fixé des objectifs incluant ces émissions.

La question de l’application extraterritoriale des réglementations nationales ajoute une couche supplémentaire de complexité. La CSRD européenne s’applique non seulement aux entreprises établies dans l’Union, mais également aux filiales européennes de groupes étrangers et, dans certains cas, aux entreprises non-européennes réalisant un chiffre d’affaires significatif dans l’UE. Cette dimension extraterritoriale suscite des tensions diplomatiques et des préoccupations quant à la fragmentation du système juridique international.

Perspectives d’évolution du cadre juridique global

Malgré ces défis, plusieurs facteurs laissent entrevoir une convergence progressive des exigences de divulgation climatique à moyen terme. La pression des investisseurs constitue un puissant moteur de cette harmonisation, les gestionnaires d’actifs mondiaux réclamant des informations standardisées et comparables pour intégrer efficacement les considérations climatiques dans leurs décisions d’investissement.

La COP28 de Dubaï en décembre 2023 a marqué une étape significative en reconnaissant explicitement l’importance d’un cadre cohérent de divulgation climatique dans le contexte du premier bilan mondial de l’Accord de Paris. Cette reconnaissance politique au plus haut niveau pourrait accélérer le processus d’harmonisation internationale.

L’émergence de juridictions pionnières adoptant volontairement les standards de l’ISSB comme cadre national constitue un autre facteur d’optimisme. Le Royaume-Uni, Singapour, le Canada et l’Australie ont déjà annoncé leur intention d’aligner leurs réglementations nationales sur ces normes internationales, créant un effet d’entraînement potentiel.

À plus long terme, l’intégration des considérations climatiques dans les normes comptables internationales traditionnelles pourrait constituer l’aboutissement de ce processus de convergence. Des discussions sont en cours au sein de l’International Accounting Standards Board (IASB) concernant la prise en compte des risques climatiques dans l’évaluation des actifs et des passifs, ouvrant la voie à une intégration plus profonde des dimensions financières et climatiques.

Ce mouvement vers une standardisation globale, bien qu’inévitablement graduel et parsemé d’obstacles, représente une évolution fondamentale du cadre juridique international. Il témoigne de la reconnaissance croissante du changement climatique comme un enjeu systémique nécessitant une réponse coordonnée à l’échelle mondiale, au-delà des approches réglementaires fragmentées qui ont prévalu jusqu’à présent.

L’avenir juridique des divulgations climatiques : opportunités et perspectives

L’encadrement juridique des obligations de divulgation climatique se trouve à un point d’inflexion. Au-delà des défis immédiats de mise en œuvre et d’harmonisation, plusieurs tendances émergentes dessinent les contours de son évolution future.

L’intégration des technologies numériques

La digitalisation des divulgations climatiques constitue une tendance majeure qui transformera profondément les modalités de reporting environnemental. Le passage d’un modèle de publication périodique de rapports statiques à un système de divulgation continue et dynamique semble inéluctable à moyen terme.

La taxonomie numérique développée par l’European Financial Reporting Advisory Group (EFRAG) pour les standards européens ESRS préfigure cette évolution. Elle permettra aux entreprises de baliser électroniquement leurs informations climatiques, facilitant leur extraction automatisée et leur analyse comparative par les investisseurs et les régulateurs.

Les technologies blockchain offrent également des perspectives prometteuses pour renforcer la traçabilité et la fiabilité des données climatiques. Plusieurs initiatives expérimentales, comme le Climate Chain Coalition, explorent l’utilisation de registres distribués pour suivre les émissions de carbone tout au long des chaînes de valeur mondiales, réduisant ainsi les risques de double comptage et de manipulation des données.

L’intelligence artificielle émerge comme un outil puissant pour analyser les divulgations climatiques et détecter les incohérences ou les omissions. Des algorithmes spécialisés sont déjà utilisés par certains régulateurs financiers pour identifier les cas potentiels de greenwashing dans les rapports publiés. Cette automatisation de la surveillance réglementaire pourrait considérablement renforcer l’efficacité des obligations de divulgation.

L’extension du périmètre des divulgations

Le champ des divulgations climatiques obligatoires devrait continuer à s’élargir dans les années à venir, tant en termes de thématiques couvertes que d’entités concernées.

Sur le plan thématique, l’intégration croissante des considérations liées à la biodiversité dans les cadres de divulgation climatique constitue une évolution significative. Les travaux de la Taskforce on Nature-related Financial Disclosures (TNFD), qui a publié son cadre final en septembre 2023, préfigurent cette convergence entre reporting climatique et reporting biodiversité.

La question de la justice climatique et des impacts sociaux de la transition écologique devrait également gagner en importance dans les exigences de divulgation. Les régulateurs européens ont déjà intégré cette dimension dans les standards ESRS, qui imposent aux entreprises de publier des informations sur les implications sociales de leurs stratégies de décarbonation, notamment concernant les communautés vulnérables et les travailleurs des secteurs à forte intensité carbone.

Concernant le périmètre des entités assujetties, une extension progressive des obligations aux petites et moyennes entreprises semble probable, bien que selon des modalités simplifiées. Cette évolution répond à la reconnaissance du fait que la transition écologique nécessite une mobilisation de l’ensemble du tissu économique, au-delà des seules grandes entreprises.

Le secteur financier fait l’objet d’une attention particulière dans ce processus d’extension, avec des exigences spécifiques concernant l’alignement des portefeuilles d’investissement avec les objectifs climatiques. Le règlement européen sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers (SFDR) illustre cette tendance, en imposant aux gestionnaires d’actifs de divulguer la manière dont ils intègrent les risques climatiques dans leurs décisions d’investissement.

Vers une judiciarisation accrue

L’expansion des obligations de divulgation climatique s’accompagne d’une judiciarisation croissante des questions environnementales. Les tribunaux sont appelés à jouer un rôle de plus en plus important dans l’interprétation et l’application des cadres réglementaires, contribuant ainsi à préciser les contours de la responsabilité des entreprises en matière climatique.

Les poursuites pour greenwashing se multiplient à l’échelle mondiale, ciblant les entreprises accusées d’exagérer leurs performances environnementales ou de présenter des engagements climatiques sans fondement crédible. L’action collective intentée contre KLM aux Pays-Bas en 2022, contestant les allégations de la compagnie aérienne concernant la compensation de ses émissions, illustre cette tendance.

Les litiges liés aux obligations fiduciaires des investisseurs institutionnels constituent un autre axe de développement contentieux. La décision rendue en 2022 par la Haute Cour australienne dans l’affaire McVeigh v. Retail Employees Superannuation Trust, reconnaissant l’obligation des fonds de pension de prendre en compte les risques climatiques dans leurs décisions d’investissement, pourrait faire jurisprudence dans d’autres juridictions.

Cette judiciarisation s’accompagne d’une internationalisation des contentieux climatiques, avec des actions coordonnées visant simultanément plusieurs juridictions. Les entreprises multinationales doivent désormais anticiper des risques juridiques globaux, dépassant les frontières traditionnelles du contentieux national.

L’émergence d’un droit climatique transnational

À plus long terme, l’évolution des obligations de divulgation climatique s’inscrit dans l’émergence progressive d’un droit climatique transnational, dépassant les distinctions traditionnelles entre droit public et droit privé, droit national et droit international.

Ce corpus juridique hybride se caractérise par la coexistence de normes étatiques contraignantes et de standards privés développés par des organisations non gouvernementales et des initiatives multipartites. La Science Based Targets initiative (SBTi), qui définit des méthodologies de fixation d’objectifs de réduction d’émissions alignés avec la science climatique, illustre cette hybridation normative.

L’émergence de mécanismes de certification et d’accréditation des divulgations climatiques constitue une autre manifestation de cette évolution. Des organismes comme la Climate Disclosure Standards Board (CDSB) ou le CDP (anciennement Carbon Disclosure Project) jouent un rôle quasi-réglementaire en établissant des référentiels de bonnes pratiques qui influencent l’interprétation des obligations légales formelles.

Cette transformation juridique profonde reflète la nature globale et systémique du défi climatique, qui transcende les cadres juridiques traditionnels organisés autour de la souveraineté étatique. Elle témoigne de l’émergence d’un nouveau paradigme réglementaire adapté aux enjeux transnationaux du XXIe siècle, dans lequel les obligations de divulgation climatique constituent à la fois un révélateur et un catalyseur.

L’avenir juridique des divulgations climatiques se caractérisera ainsi par une complexité croissante, mais aussi par un potentiel transformateur considérable. Au-delà de leur dimension technique, ces obligations contribuent à redéfinir la responsabilité des acteurs économiques face aux défis environnementaux globaux et à façonner un nouveau contrat social entre les entreprises et la société.